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Critique de SZRAMOWO


Je poursuis, cet été, mon exploration de l'univers de Francisco Gonzáles Ledesma. Après 5 femmes et demi et les rues de Barcelone, c'est avec un plaisir non dissimulé que j'ai attaqué le dossier Barcelone.
Ecrit en 1983, ce roman restitue avec précision, sensibilité et intelligence le contexte de l'Espagne post franquiste.
De la mort de Franco le 25 novembre 1975 à l'adhésion de l'Espagne à l'Union Européenne en 1986, le pays a sans cesse flirté avec son passé et son avenir, comme un amant inconstant hésite entre deux femmes.
Je choisis avec raison la référence à l'amant, tant la relation homme femme sert de guide à la réflexion des différents personnages du roman.
Une allégorie érotique non dénuée de sens.
Le fils de l'industriel Masnou est tenté par une vie radicalement différente de celle de son père. Ses amis Prado et Costa sont des militants de gauche, impatients de saisir l'occasion de la mort de Franco pour « changer » la société espagnole. Isabel, la soeur de Costa n'est pas la moins « enragée », elle devient l'amante du fils Masnou qui l'abandonnera peu après.
Mireia, une femme qui gravite autour du groupe, sollicite un avocat minable pour prouver une origine de paternité, et joue l'ambiguïté de la séduction.
Le roman est une mine de renseignements sur Barcelone, ses quartiers et ses rues, ses transformations, mais aussi sur les événements qui ont marqués la période de la transition en Espagne.
Le garrotage de Puig Antich. L'assassinat de l'amiral Carrerro Blanco. L'ETA et les GRAPO. La position du roi par rapport à la République. le rôle des leaders communistes. Les personnalités d'Adolfo Suarez et de Felipe Gonzales. le coup d'état manqué de Tejero en 1981.
Enfin, le roman est l'occasion de nombreux rappels historiques, notamment l'histoire de ce jeune tambour espagnol qui aidé par l'écho des montagnes fait croire aux troupes napoléoniennes que l'ennemi est supérieur en nombre et provoque sa retraite, qui montrent comment le franquisme a façonné et vendu au peuple espagnol une vision de l'Espagne qui n'était plus.
Certes, on pourrait objecter que l'on est loin du Polar, du commissaire Mendez (qui fait une brève apparition) et qui court déjà après les ennuis avec sa hiérarchie, des intrigues palpitantes, des meurtres sanglants dont on se demande quel est le mobile et qui est l'auteur.
Rien de tout cela ici, mais beaucoup plus.
Le roman est construit autour de 5 couples de personnages :
- Mireia et l'avocat
- Isabel Costa et le fils Masnou
- Esther Jou, une publiciste et le fils Masnou
- le fils Masnou, sa soeur Maria del Mar et leur « ami » Prado
- Pardo et le commissaire Lorente
La narration mêle dialogue entre les personnages et échanges de correspondance, donnant au récit une dynamique faite de recoupements et reflétant la complexité des choix auxquels a été confrontée la société espagnole après 1975. Un pays ne sort pas indemne de 40 ans de dictature. Ledesma dépeint avec justesse la façon dont les soutiens de l'ancien régime, notamment les entreprises, mais aussi les forces de Police, la justice et l'administration dans son ensemble vont se recycler en soutien du nouveau pouvoir.
Comme il sait le faire, Ledesma illustre son propos de phrases à l'emporte pièces : « La droite doit seulement gérer des intérêts, ce pour quoi elle emploie les technocrates, ces thaumaturges du XXème siècle. Et vous savez que les livres de comptes, depuis Esaü et son plat de lentilles, ont toujours fini par s'équilibrer, d'une façon ou d'une autre. »
« C'est pourquoi la gauche véritable n'arrive jamais à se mettre d'accord, car elle doit gérer à la fois de l'argent, des tourments, des drapeaux, des martyrs et des courants d'air. »
« Isabel lisait les poètes plus ou moins interdits, bien sûr, mais aussi les économistes proscrits par le régime, à commencer par Lassalle, pour continuer par Marx et aussi par Proudhon, si tant est qu'on puisse qualifier Proudhon d'économiste. Pour moi, c'est ce dernier qui me plaisait le plus : c'est lui qui avait le plus de couilles au cul, comme on dit chez nous. »
Un roman à conseiller à ceux qui aiment l'Espagne, la Catalogne, Barcelone, la vieille Espagne, celle des plages où les touristes européens surveillés par les Gardes-Civils viennent s'affranchir sur la Costa Brava et l'Espagne contemporaine, celle qui envoie ses touristes partout dans le monde.

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