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Critique de Eric75


Est-ce la lassitude des deux auteurs ? Est-ce la malédiction du nombre 13 ? Cet album est le 13e de la série, et j'ai ressenti à sa lecture comme une légère retombée du soufflet, comme si le souffle épique de la série marquait le pas, après la parution consécutive de sept excellents albums, auxquels j'ai attribué la note maximale.

Le scénario est un peu plus désabusé que d'habitude. Nos deux héros semblent avoir perdu toute bonne humeur et toute confiance en soi. On les voit souvent pleurer et s'apitoyer sur leur sort (pages 12, 33, 36 et 42), faire des têtes d'enterrement et s'engueuler copieusement, ce qui n'est pas commun, avouons-le, dans la série, et installe même un sentiment de tristesse un peu nouveau.

Pourtant, tout commençait bien. La première vignette nous montre une magnifique vue printanière du village gaulois, avec des protagonistes épanouis et des arbres couverts de fleurs roses. Nous voyons pour la première fois représentée de façon réaliste la forge de Cétautomatix, forgeron et maréchal-ferrant, en plein travail. Panoramix cueille des fleurs printanières, Astérix discute avec Agecanonix, Abraracourcix va chercher de l'eau au puits pour sa femme Bonemine. Bref, tout va bien. Mais un messager apporte dès cette première image une mauvaise nouvelle que personne n'attend : l'arrivée dans le village du chef gaulois Moralélastix.

Moralélastix confie à Abraracourcix une mission : mettre en lieu sûr ses économies, matérialisées par un chaudron rempli de sesterces et sentant la soupe à l'oignon en raison d'un voyage décidé dans la précipitation (ce qui dément le dicton « l'argent n'a pas d'odeur »). La mission durera le temps de la levée du nouvel impôt décidé par Jules César. Astérix est désigné pour monter la garde et veiller sur la fortune de Moralélastix. Contre toute attente, le chaudron est volé pendant la nuit.

Victime d'une machination qu'il n'a pas vu venir, Astérix est mis au ban du village, seul le fidèle Obélix prête main forte à Astérix et l'accompagne dans son périple de banni. Tous les habitants du village versent une larme au départ d'Astérix. L'histoire se poursuit ensuite par une succession de tentatives infructueuses de la part d'Astérix et Obélix qui ne parviennent pas à remplir le fameux chaudron. Petit à petit, nous voyons le moral de nos deux compères s'amenuiser dans ce qui ressemble à une chute inéluctable vers leur déshonneur.

Comme toujours, le scénario est interconnecté au contexte de l'époque de parution, ici, plus précisément, Goscinny et son équipe viennent de vivre un épisode traumatisant qui fait suite aux événements de mai 68 (j'y reviendrai). Directement liée (ou pas) à mai 68, on peut voir dans cet album la critique du monde des affaires et des jeux de pouvoir, et plus précisément, de tout ce qui tourne autour de l'obsession de l'argent, de l'appât du gain faisant perdre de vue les vraies valeurs (comme la fidélité et la confiance). Astérix se rend compte au passage qu'il n'est pas doué pour gagner de l'argent (« Gagner de l'argent ? mais nous n'avons jamais fait ça ! » alerte Obélix, jamais à cours de bon sens, page 17) et récupérer la somme perdue, ni en tant que conteur d'histoires vécues, ni en se lançant dans une carrière de vendeur de sangliers, de dresseur d'animaux, d'acteur de théâtre ou de gladiateur, ni même, descendant de plus en plus bas, en misant sur les paris sportifs ou en braquant une banque.

La quête d'Astérix ira même jusqu'à provoquer de véritables catastrophes : bagarre généralisée chez les romains de Petibonum, qui sont eux aussi en manque d'argent et au bord de la cessation de paiement des soldes, destruction du restaurant "le Pirate échoué", alors que pour une fois, nos amis pirates auraient bien voulu se ranger et se sédentariser, effondrement du cours du sanglier, ruine des petits commerces, etc. Même l'épisode de braquage de la banque, pourtant très bien imaginé, se traduit par un fiasco monumental. le pessimisme règne. La situation ne va se redresser vers le traditionnel happy end que dans les toutes dernières pages de l'album.

Que se passe-t-il à la même époque, pour expliquer la tonalité atypique de cet album un peu moins enthousiaste et plus sombre que d'habitude ? le 13e album d'Astérix est prépublié dans Pilote à partir d'octobre 1968 et sort en 1969, on pense immédiatement à mai 68 et ses conséquences. A cette époque, rien de va plus au sein de la rédaction de Pilote, dont la parution a été suspendue en raison des grèves. Goscinny a été secoué par une dispute avec d'anciens collaborateurs qui l'ont traité de « suppôt du patronat », lors d'un procès « stalinien » improvisé dans une brasserie de la rue des Pyramides. Se sentant trahi, Goscinny songera même à abandonner la bande dessinée. On peut convenir d'une certaine amertume résultant de cet épisode, qui donnera également plus tard le ton à l'album La Zizanie (1970), encore à venir.

Pour autant, les gags visuels et scénaristiques, les jeux de mots, sont toujours très nombreux et d'un excellent niveau. On pourra entre autres noter : « Non ! Les romains font des fouilles... Il y a tellement d'impôts enterrés, qu'on trouvera encore des monnaies pendant des siècles, probablement ! » (page 7) ; « – Si on racontait nos aventures aux gens ? Peut-être qu'ils nous paieraient pour les entendre ? – Je ne m'y connais pas en affaire, mais je peux te dire que ça, ça ne rapportera jamais d'argent ! » (discussion entre Astérix et Obélix, page 17) ; « En avant, vous autres ! J'en vois une qui n'est pas au pas ! » (page 18, en parlant d'une oie dans un défilé) ; « Nous avons mergitur, mon vieux, et je ne sais pas quand nous allons fluctuat de nouveau ! » (page 41) ; « Sentir de l'argent ? Mais ça n'a pas d'odeur ! » (page 44). Et ce n'est ici qu'un petit échantillon.

Notons également les polices de caractères utilisées par le collecteur d'impôts envoyé spécial de Jules César, qui ressemblent au formalisme des imprimés officiels de type CERFA. le langage administratif est ainsi immédiatement perçu comme une langue étrangère incompréhensible, à l'instar de la langue des Goths ou des Égyptiens.

Au niveau des caricatures, Goscinny et Uderzo n'étant jamais mieux servis que par eux-mêmes, se sont cette fois représentés en Romains spectateurs accompagnant le préfet de Condate au théâtre (page 30), un pas de plus franchi après leur apparition sur un bas-relief dans Astérix aux Jeux Olympiques. On reconnaîtra également les acteurs Éléonoradus (qui prend les traits de l'acteur Laurent Terzieff) et Juleraimus (sous les traits de Jules Muraire, alias Raimu).

Pour conclure, cet album ne nous entraîne aucunement dans une grande épopée aux horizons lointains telle qu'avaient pu l'imaginer les auteurs pour les précédents albums de la série. de fait, cette histoire assez triste s'apparente plutôt à un chemin de croix et à l'expiation d'une faute (le manque de vigilance d'Astérix). Elle se conclura fort heureusement par une issue honorable. Astérix reprendra du poil de la bête, le méchant sera reconnu coupable et puni de sa cupidité et de sa collaboration avec l'ennemi, on ne se moque pas impunément du petit teigneux par Toutatis ! Astérix lavera son honneur. Au passage, les pirates seront dédommagés, ce qui constitue une délicate attention de la part des auteurs. Mais cette fin heureuse n'occulte en rien le pessimisme ambiant ni l'atmosphère larmoyante de l'album, qui voit donc sa note globale légèrement baisser. Enfin, juste un petit peu… oui, un tout petit peu allez… car si l'on y réfléchit à deux fois… c'est quand même toujours… Snif… Troooompfff ♫♪ pardon… Enfin bref… Qui bene amat, bene castigat, comme disait l'autre.
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