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Critique de Colchik


J'ai obéi à une impulsion en relisant ce livre, le plaisir et l'envie de retrouver le monde enchanteur d'Elizabeth Goudge, ce monde qui m'avait tant fait rêver au moment de l'adolescence. Bien entendu, je ne peux porter aujourd'hui le même regard sur ce roman qu'autrefois.
Je suis presque certaine qu'à l'époque je n'avais pas perçu le ton acidulé de l'écriture d'Elizabeth Goudge, pour ne retenir que le romantisme de l'intrigue. Or, aujourd'hui, ce qui me frappe dans le caractère des personnages, ce sont justement leurs côtés les moins romantiques. Marianne l'intrépide, l'aventurière, l'amoureuse m'apparaît dans toute sa complexité. Son goût de l'aventure est toujours sous-tendu par l'âpre volonté de parvenir à son but, rejoindre l'homme qu'elle aime, construire une destinée digne de ce qu'elle attend de la vie, soumettre les évènements à ses desseins. Marianne est toujours la proie d'une jalousie obsédante, jalousie à l'égard de sa soeur Marguerite, mais aussi envers Tai Haruru, le fidèle compagnon maori de William, ou encore envers Véronique Marguerite, sa fille plus séduite par la douceur paternelle que par la rigidité maternelle. Sa générosité est toujours bornée par le calcul financier, femme de tête, elle pense toujours au revenu des coupes de bois, à l'amortissement de ses investissements ou à la fructification de son héritage. Oh ! les larmes de Marianne sont souvent des larmes de dépit et de rage, parce qu'elle veut avoir raison, même quand elle sent que son entêtement lui fera perdre l'estime des siens.
Quant à William, son courage, son sens du devoir et de l'honneur n'ont d'égal que sa maladresse tempérée de nonchalance. Finalement, il n'est pas fait pour le mariage, car le licol que lui passe Marianne est bien difficile à supporter et il n'a pas la force de caractère qui lui permettrait de vivre une union équilibrée. Il rend grâce à Dieu des talents de sa femme, de son énergie, de sa force de caractère, mais il souffre en silence, se contraint, se tait, cède enfin à sa volonté, même quand celle-ci conduit à des décisions désastreuses comme la transformation du settlement en camp retranché. Enfin, William qui a tissé de façon si maladroite les fils du destin en confondant le nom de sa bien-aimée avec celui de sa compagne de jeux, est aussi l'homme du renoncement.
Marguerite est le dernier personnage de ce triangle amoureux insoluble. C'est aussi la véritable victime. Abandonnée sur son île, loin de l'homme qu'elle aime, loin de la famille qu'elle a perdue, et loin de sa jeunesse rayonnante, elle trouve la paix en devenant religieuse. Tout lui était donné, la joie, l'amour, la beauté et la générosité, mais William et Marianne l'en dépossèdent par leur vitalité agressive. Sa personnalité ne peut triompher devant les extrêmes qu'incarnent sa soeur et William. Marianne a l'élan qui fait défaut à Marguerite et William la faiblesse d'une personnalité immature. Marguerite devient religieuse non pas pour échapper à l'amour de William, mais pour le conjuguer avec la morale de son temps : elle aime les créatures de Dieu et donc William. Quand Marianne, folle de jalousie, va voir sa soeur pour lui révéler l'erreur commise par William des décennies plus tôt, Marguerite sait que l'amour de William ne lui a jamais été retiré, par la lettre et le collier qu'il lui avait envoyés bien des années auparavant de Nouvelle-Zélande.
Il y aurait encore bien des choses à dire sur le capitaine O'Hara et son Dauphin-Vert, sur le vieux Nat, sur la pâle Véronique. Et puis, il y a la terre des Maoris, la confrontation de ce peuple aux colonisateurs. Elizabeth Goudge a peint une fresque ambitieuse, colorée, contrastée. Il y a indéniablement une dimension panthéiste dans cette oeuvre, mais on peut aussi l'aborder comme un hymne à la beauté du monde et de la nature. Les pages refermées, on pense longtemps au ciel des îles anglo-normandes et à sa couleur irisée, aux fougères arborescentes des profondes forêts de la Nouvelle-Zélande et à la vaste et paisible étendue des océans sous les alizés.
Aujourd'hui, dans son roman, je vois un souffle de liberté. Je ne le découvre plus avec les yeux de la petite Véronique rêvant au Pays du Dauphin Vert, un pays enchanté, mais avec le regard de l'écrivain qu'est Elizabeth Goudge. Son histoire est aussi un roman de la trahison, du compromis et de la réconciliation. Ses héros nous sont dépeints avec toutes leurs faiblesses, mais aussi avec les forces qu'ils puisent en eux pour aller de l'avant.
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