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Critique de MademoiselleBouquine


Tequila Leila est morte.
Mais ce n'est pas le cas de sa conscience.
Pas encore.

Leila l'ignore, mais il lui reste presque onze minutes, dix minutes et trente-huit secondes, une petite éternité au cours de laquelle son cerveau hébété aura tout le temps de se souvenir de sa vie, de ses errances, de ses points de bascule, dans une frise tout sauf chronologiques émaillées de magnifiques accidents et d'épouvantables traumatismes.
Elle se comprendra, un peu.
Elle n'aura pas même le temps d'éprouver des regrets.
Simplement de recomposer sa mémoire, alors même que le cours de sa vie s'interrompt.
Elle aura bien vécu, ça, c'est certain.
Reste à savoir ce que sera sa mort.

Leila est une femme à l'existence complexe, née dans la frustration et le mensonge, élevée à coup d'injonctions contradictoires et de plus en plus autoritaires, très vite larguée dans une vie dangereuse, exaltante, et ô combien désirée. Dans la Turquie en pleine mutation de la seconde moitié du XXème siècle, elle grandit, s'émancipe, brave tous les interdits et surtout les plus sévères, trouve sa voie, en tout cas, essaye.

Et c'est étourdissant.

La première moitié du roman, la plus importante et la plus réussie, dresse ainsi le portrait de Leila à travers les épisodes qui lui reviennent petit à petit en mémoire sans pathos ni lyrisme mal placé, un petit exploit quand on s'intéresse au sort d'un personnage en train de mourir. Elif Shafak présente sa Leila comme elle est : torturée, sincère, troublante, opprimée. C'est surtout l'histoire d'une femme qui arrive à chaque étape de sa vie à affirmer son humanité, à faire fi de la cruauté et de la brutalité des hommes qui l'entoure, à toujours faire de son mieux pour tendre vers son idéal, la liberté telle qu'elle a passé une vie entière à en rêver.
C'est une histoire violente, particulièrement douloureuse, au point d'en devenir parfois perturbante, mais qui n'en fait jamais trop, et compense son aspect sombre par le récit des cinq amitiés que Leila noue au fil des années, autant de destins parallèles qui parachèvent le tableau vivant brossé par l'autrice.

Vient ensuite la seconde moitié du roman, dont on peine parfois à intégrer qu'il s'agit bel et bien de la suite de cette histoire crue, authentique et mémorable qui constituait la première partie. le ton jusque-là cohérent et assuré bascule vers quelque chose de plus instable, allant parfois jusqu'au mauvais goût, à mi-chemin entre le récit fantastique un peu bancal, le vaudeville et la comédie mal dosée. On a en quelque sorte le sentiment de voire toute la noblesse distillée dans le récit de la vie de Leila s'évaporer d'un coup, pour laisser place à une sorte d'histoire de braquage improbable où on peine à reconnaître les thèmes jusque-là traités avec tant de finesse. C'est décevant, c'est certain, au point qu'on peut se retrouver à vouloir en finir au plus vite avec ce roman qu'on savourait pourtant tant dans ses 200 premières pages. On conserve néanmoins de ces 10 minutes et 38 secondes un souvenir largement dominé par la beauté de cette première partie, et ce roman restera avant tout celui de Leila, celui du souvenir, celui des rêves dangereux et un peu fous qui peuvent, parfois, avec le soutien de familles inventées, devenir une forme de réalité dans laquelle on parvient à s'épanouir. Une jolie proposition littéraire, moins réussie dans son dénouement que ce qu'on aurait pu espérer, mais tout à fait pertinente et sensible malgré tout.
Lien : https://mademoisellebouquine..
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