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Critique de JeffreyLeePierre


Ce livre imposant (mais accessible) est à la fois formidable et désespérant.

Je l'ai lu par effet d'aubaine : j'avais encore subi une discussion pénible avec un collègue à qui je tentais d'expliquer qu'un État n'est pas un ménage et que le problème des dettes publiques ne se pose et ne se résout pas de la même façon. Pénible parce que je patinais à expliquer clairement pourquoi, mes relents de souvenirs de keynesianisme s'embrouillaient dans mon esprit vieillissant. J'avais aussi remarqué, interloqué, que la dette publique, mantra de toutes les politiques en France depuis le virage de 1983 (sans parler de l'assassinat de la tentative de changement grecque par la finance internationale et l'Europe politique réunies), a soudain disparu des radars avec le Covid sans que cela n'émeuve personne. Bref : je lis une critique sur Babelio peu avant Noël et roule dans la hotte et dans ma PAL.

Et bien je n'ai pas été déçu !

Formidable parce que c'est un monument d'érudition associé à une théorie plutôt structurée utilisée comme grille de lecture.

Ce livre remet en question, pour ne pas dire démonte furieusement, l'ensemble de ce que nous sommes tous supposés tenir pour acquis sur le sujet. Et pas via de belles phrases ou arguments polémiques, mais en démontrant l'inanité des fondements des théories économiques au regard des faits historiques, des découvertes anthropologiques et du simple bon sens. Lesquels sont puisés aux quatre coins du monde et sur cinq mille ans d'histoire. Et organisés : l'auteur synthétise au passage les rapports humains sur une grille universelle (communisme, échange, hiérarchie) et démontre la place centrale du crédit et de la dette dans toutes les sociétés. Il expose en plus énormément de choses sur l'évolution du fonctionnement économique (et le rapport entre l'économie et la façon de concevoir le monde) de la plupart des civilisations depuis l'antiquité : Sumer et le Moyen-Orient puis le monde islamique ; la Chine et l'Inde au travers des âges ; pour l'occident, la Méditerranée antique, le moyen-âge européen, la révolution capitaliste et les temps modernes. Et c'est passionnant.

Désespérant parce que l'histoire de l'humanité n'est finalement qu'un long cortège d'atrocités avec juste quelques variations dans le niveau de violence. En gros, dès qu'on sort des groupes agraires isolés, c'est l'asservissement perpétuel de l'homme (y compris et en premier lieu de la femme) par l'homme avec comme arme idéologique la dette. Prétexte ou conséquence mais systématiquement : la dette. Et sur le temps long, il n'est pas évident que le niveau de violence ait tant baissé que ça, il ne faudrait pas que l'absence de guerres en Europe depuis 70 ans nous abuse (et encore, j'omets l'ex-Yougoslavie, l'Ukraine et autres ex-républiques soviétiques).

Bref, elle est pas jolie jolie la race suprême de la planète. En plus, sa dernière invention pour se martyriser les uns les autres, le capitalisme, l'emmène droit dans le mur.

Et c'est ballot : tout savant et structuré qu'il soit, Graeber avoue ne pas avoir de pistes pour s'en sortir. Je me venge : 4 étoiles seulement !
(Plus sérieusement : 4 étoiles parce que parfois, j'ai eu du mal à suivre. Soit qu'il m'ait pris pour plus intelligent que je ne suis, ou parce qu'il est parfois un peu embrouillé. Mais le voyage en valait la peine.)
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