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Citations sur La retenue (42)

Jamais un homme de lettres ne m’a dit que je devais raconter les faits naturellement, sans fioritures, en nommant les gens et en décrivant la réalité nue.   Ce terme « vulgaire » est un électrochoc.   Après cette rencontre, je prends conscience d’avoir protégé le coupable et le clan en empêchant le lecteur de les reconnaître. Depuis des décennies, je continue de soutenir ceux qui m’ont fait mal, quand je sais pourtant, théoriquement, combien la notion de responsabilité individuelle est déterminante pour dénouer la lâcheté collective.   Je dois oublier ce manuscrit. Il faut recommencer à zéro.   Dans cette nouvelle façon d’écrire, il n’est pas question de faire joli. Il me faut dire sans enrober. Je redeviens une petite fille qui se souvient, année après année.   Je découvre que mes plaies sont toujours à vif. J’ai mal aujourd’hui comme hier quand il s’agit de décrire les fellations, les cunnilingus, les mensonges de mon oncle sur nos promenades, ma saleté, même lavée après la douche, la honte quand je croise les regards de ma sœur ou de ma cousine et qu’il vient dans notre chambre pour nous souhaiter bonne nuit en murmurant dans mon oreille qu’il m’attend.   Je bois comme un trou, je fume comme un pompier, je reste des heures assise . J’ai le corps en sang et le cœur en larmes. Je n’ai qu’une envie : mourir, plutôt qu’écrire à nouveau les viols, les mortifications et le « Tu l’as bien cherché » de ma grand-mère quand j’ai voulu sauver ma peau.   Je ne mange plus, je ne dors que par éclipses, je fume et je bois encore davantage. Mes enfants s’inquiètent. Ma mère aussi. C’est bien la première fois que je n’arrive plus à donner le change. Je me cache, je me terre. Je pense que je ne vais pas y arriver. Je me déteste de n’avoir pas le courage, je me dégoûte de n’avoir plus d’énergie. Je suis fatiguée, épuisée. Je n’en peux plus.   Je devine peu à peu que c’est mon honneur que j’interroge. Je suis de courage ou pas.   Il est plein et se vide. La sensation de ce trou plein qui se répand génère de nouvelles angoisses. Je suis en train de perdre une partie de mon identité.   Arrive l’évocation de l’anniversaire de ma mère et son déroulement. Au fur et à mesure que j’écris, je palpe l’abandon, et la béance qui s’ouvre de plus en plus. Je vais vérifier le sens exact de béance tant ce mot me semble sale lui aussi. C’est un vide impossible à combler.   Je sens que je vais devoir apprendre à vivre autrement. Non seulement je me mets à nu pour écrire mais plus encore, une partie de mon histoire meurt en existant noir sur blanc.   Les cicatrices sont toujours là, même si je les transcende avec l’écriture.   Je décide d’une date butoir pour boucler le récit.   Je ne veux plus différer, je ne peux plus reculer, Pour moi, l’avenir est clair, mais je pense à toutes les autres victimes. Je comprends que la lutte doit être sociétale tant la question de l’inceste dérange, même dans l’espace de la publication.   J’écris à chacun des membres de ma famille pour leur proposer une lecture collective.   Les réponses tardent. Cette offre n’a de sens qu’en présence du violeur.  
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Je pense à toutes les proies sexuelles qui se taisent. Elles m’imprègnent chaque jour davantage de leur anonymat silencieux, bâillonné à en étouffer. J’ai pleinement conscience de la révulsion psychique du collectif à l’idée de l’inceste, lui qui est le premier mode de soumission des adultes sur les enfants. Le pédocriminel ne viole pas un petit garçon ou une petite fille. Il viole un enfant. Cette transgression est ontologique par la profanation des liens du sang. C’est la nature même de cet archaïsme sauvage qui terrifie. Les familles se taisent.
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Certes, l’amour de tous est réel ; certes, la douleur et la culpabilité sont terribles, mais cette adolescente a demandé en vain de l’aide durant six années, et le silence collectif l’a ensevelie. Aujourd’hui encore, je n’ai pas de réponse claire sur ce lent suicide programmé. Que n’a-t-elle pu verbaliser et pourquoi aucun de ces adultes ne l’a écoutée…
 
Après mon refus d’assister à l’enterrement, je n’ai plus de nouvelles des membres de ma famille pendant plusieurs années.
 

 

 
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J’ai sept ans tout au plus, peut-être moins. Il en a dix-sept. Dans cette géographie des lieux restée intacte, mes souvenirs sont comme une suite de clichés photographiques.
 
J’écarte les jambes parce qu’il me le demande. Il explore mon sexe de petite fille, avec ses doigts, sa langue, observe ses réactions, nos réactions.
 
Il m’effeuille pétale après pétale, je t’aime un peu, beaucoup, à la folie je me dis dans ma tête d’enfant. Je suis transie de peur et de honte lorsque j’entends le bruit des rires et des paroles à travers les parois de la chambre. Livrée aux mains de ce jeune homme, j’accepte expérimentations, transgressions, violences atomisées dans le lieu clos de la famille. Je suis captive parce qu’il est grand, beau et autoritaire dans ses recherches attentives.
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Je mène alors une vie heureuse de petite fille, brillante à l’école même si un jour, mes parents sont convoqués par l’instituteur qui s’interroge sur ma précocité et mes enfantillages en classe. Je suis espiègle, sans cesse prête à dire ou faire des bêtises, mais fragile également, toujours entre rires et larmes. Il est vrai que je suis de loin la plus jeune de la classe, mais ce qui trouble mes parents, c’est que j’ai un comportement très différent à la maison, où je me montre sage et responsable.
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Il baisse mon short, ma culotte avec la serviette pleine de sang. Il m’enfourche. Il ahane. La terre du champ est dure et truffée de cailloux. J’ai mal aux fesses. J’ai mal partout. Je me souviens avoir regardé le soleil dans les yeux quand il a joui en poussant un cri. Il y a du sang sur mes cuisses, sur son sexe. Ce jour-là, pour la première fois, je me dis que c’est un viol.
 
Juste ça.
 
Un viol. J’ai onze ans, je sais que je suis une femme.
 
Je n’ai aucune idée de la portée de ce mot qui vient me claquer en pleine tête.
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D’habitude, je regarde l’autre droit dans les yeux, mais là, j’ai un peu peur et concentre mon attention à travers la fenêtre. J’ose poser mes yeux sur lui quand à son tour il se perd devant l’écran de son ordinateur portable.
Il me parle de mon grand-père qu’il aime et qu’il admire et finit par aborder le sujet de l’inceste. Il me dit que la matière, la profondeur, l’émotion sont présentes mais que moi, je n’y suis pas. Le lecteur ne me trouve pas.
 
Cette remarque tape en plein cœur.
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Un viol est un acte de violence sexuelle. Ça te va ? Je ne sais plus, là tout de suite, comment je vais faire pour vous recevoir. Ça fait des mois que j’organise cette surprise pour maman, rien que pour elle. Elle a été si seule avec son chagrin et ses morts. Je vais m’accrocher à l’idée qu’il faut traverser ces quelques jours parce qu’il n’y a pas que vous. Il y a tous ses amis aussi. Mais après, plus jamais, tu m’entends, plus jamais je ne vous verrai, ni les uns ni les autres.
 

 
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Tu aimes l’idée du sexe, ça oui. Tu aimes les femmes pour l’attraction qu’elles exercent sur toi le temps du désir que tu as d’elles. Elles te fascinent. Elles te font peur.
 
Elles savent si bien, pour certaines, te tenir la dragée haute. Ta mère, ta femme, ont le même mépris de l’homme. Ta mère, ta femme, ont sciemment adulé un fils. Pour toi, le choix n’a pas été compliqué. Tu étais fils unique. Pour Mamie, l’attention s’est fixée sur votre fils cadet.
 
Celui qui tant a manqué de courage.
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Tu penses au temps où le monde était à refaire, à faire tout simplement. Tu avais ta place à trouver dans ce grand foutoir d’après-guerre quand le pouvoir intellectuel et artistique de la subversion semblait l’unique issue. Aucune entrave ne t’a empêché de participer à l’explosion collective des codes et de la bonne éducation.
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