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Critique de Cancie


Le roman débute en 1920, en Sibérie, à Krasnoïarsk, près du fleuve Ienisseï, où la guerre civile vient de déferler.
Un soldat de la révolution tambourine à la porte d'une des maisons. Il est porteur d'un mandat d'arrêt concernant Ivan Abalakov. Ses deux neveux orphelins, Vitali et Evgueni, treize et quatorze ans se précipitent pour empêcher que leur oncle paternel qui les a recueillis, ne soit emmené. Mais le garde rouge a désormais tous les droits et il rafle également les neveux pour avoir entravé son action. Leur tante, en échange de vodka et zabouski épargnera les deux frères.
Après une enfance et une adolescence faite de varappe et d'escapades dans le cadre légendaire des Stolby (colonnes ou blocs) : "Les frères Abalakov ont grandi en embrassant la pierre, en défiant la pesanteur, en exécutant le poirier au bord du vide", ils montent à Moscou.
Dans Alpinistes de Staline, Cédric Gras nous conte la vie de ces deux frères Abalakov ces célèbres alpinistes russes nés à un an d'intervalle, pour les sortir de l'oubli. C'est aussi pour tenter de comprendre comment, alors qu'ils avaient déjà conquis le pic Staline et le Khan Tengri, qu'ils portaient le marxisme au plus haut des sommets, au prix de grandes souffrances et de mutilations, ils ont pu, Vitali en étant arrêté et Evgueni en mourant de façon mystérieuse, être victimes de la Terreur stalinienne.
Ce livre tente également de rappeler à notre mémoire tous leurs camarades déportés au goulag ou exécutés, toutes ces existences fauchées par ces grandes purges, où la police politique arrête à tour de bras, inventant des chefs d'accusation fantaisistes et extorquant des aveux par les pires méthodes, par exemple, avoir grimpé avec des étrangers était tout simplement qualifié d'espionnage. .
Je suis loin d'être une passionnée d'alpinisme et pourtant j'ai été emportée et subjuguée par les descriptions de ces lieux immenses et encore sauvages, la blancheur immaculée de ces neiges éternelles et la solennité de ces hauts sommets, la simplicité et la sobriété de vie de ces hommes, si près de la nature, dont les sens sont en perpétuel éveil pour faire face aux brusques changements de temps et aux températures extrêmes.
Cependant, si j'ai particulièrement apprécié ce roman, c'est avant tout parce que l'histoire de l'alpinisme se mêle à l'histoire tout court, avec cette période de répressions politiques tellement effarante qui a utilisé alors à grande échelle l'emprisonnement, la déportation et la peine de mort pour éliminer ses opposants politiques réels ou supposés. L'auteur s'interroge d'ailleurs très justement : « À bien y réfléchir, et même si l'on comprend la logique avec peine, il n'y avait aucune raison pour que les alpinistes échappent à cette répréssion généralisée, à cette automutilation d'une URSS qui élimine ses meilleurs éléments en leur reprochant de vouloir lui nuire. Que serait-elle devenue si on les avait laissés véritablement bâtir le socialisme ? »

Cédric Gras, russophone, est écrivain-voyageur. C'est après des voyages en Asie centrale, après avoir écouté des descendants de certains personnages, observé quelques photographies et obtenu l'autorisation de consulter les archives du KGB et pris connaissance des trois cent cinquante pages d'instruction, qu'il a pu reconstituer le destin exceptionnel de ces deux frères durant cette période que l'on connaît encore si mal. Il écrit d'ailleurs : "Je n'ai plongé dans l'épopée des Abalakov que parce qu'elle dépasse largement leurs exploits."
C'est une enquête très fournie et terriblement instructive que nous livre l'auteur, une confrontation de l'homme avec L Histoire, un livre contre l'oubli, des frères Abalakov, certes, mais aussi de ces innombrables morts, victimes des purges staliniennes…

Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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