À l'occasion de la 33ème édition du festival "Étonnants Voyageurs" à Saint-Malo, Cedric Gras vous présente son ouvrage "Alpinistes de Mao" aux éditions Stock.
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Pour quelles raisons Vitali Abalakov, le plus fameux des alpinistes soviétiques avait-il été victime de la Grande Terreur ? Avait-il dénoncé sous la torture ses compagnons de cordée ? Et surtout, avait-il livré son propre frère, Evgueni Abalakov, l’étoile des cimes, le conquérant héroïque du vertigineux pic Staline ? (page 15)
L’alpinisme chinois n’a jamais eu d’autres raisons que l’Everest et n’a éclos que pour sa conquête.
Nous Européens rêvons communément d’Himalaya, de tropiques, de Sahara. Nous ignorons le Caucase, les Tian Shan et le Pamir. Nous avons fait de l’Eurasie la face cachée de la Terre, un monde absent de notre carte mentale. Alors, il s’appelait URSS… (page 47)
Evgueni est un bon Soviétique, engagé dans le développement politique de ses citoyens. Pour sa contribution à cette campagne de prospection, il sera d'ailleurs nommé udarnik, c'est-à-dire "travailleur de choc". Le culte des forces productives et de l'industrie bat son plein. L'alpiniste est un prolétaire comme les autres, un ouvrier du vertige. Il n'est pas là pour s'épancher béatement sur la beauté des sites. "Pas de contemplation ! Du minerai ! ordonne un jour un des chefs de la mission. Admirer le paysage est une tare petite-bourgeoise.

... j’aime l’automne éperdument. Il est un éloge de la tristesse, et non du désespoir. Il m’est une paix sereine une fois l’an. Septembre, octobre et parfois novembre n’ont pas d’autre ambition que d’en finir posément. Cela aussi convenait beaucoup au flegme des hommes là-bas (extrême-orient russe). Je ne supporte pas le neuf, les images glacées du développement, les régions qui ont tout réussi, les attributs postmodernes et les paysages aménagés. L’automne est avant tout un charme d’hier, un décor poli par le temps.
Il m’a toujours semblé que l’été est un dessin d’enfant colorié à l’aide d’une boîte de crayons de six couleurs. Ses teintes sont primaires, le ciel est trop bleu, les nuages immaculés, l’herbe grassement verte et le soleil, une pépite aveuglante. Le spectre des pigments est utilisé sans art. C’est un monde sans nuances où les feuilles sont gorgées de chlorophylle, la mer est azur et les couchants pareils à ceux des cartes postales. Cela empeste les vacances et la canicule. Le voyage doit avoir un autre éclat.
Les frères Abalakov ont grandi en embrassant la pierre, en défiant la pesanteur, en exécutant le poirier au bord du vide. Evgueni était, paraît-il, affublé par ses camarades du sobriquet de Tamias. les tamis de Sibérie sont de petits écureuils rayés endémiques. Evgueni ouvrait des voies là où le lichen des rochers n'avait été râpé par aucune semelle de galoche. Vitali, pourtant plus âgé d'une année, suivait comme il pouvait.
Trois jours sur les rails. Les Sibériens connaissent le train. Ils y laissent des mois entiers de leurs existences.
Je n'ai plongé dans l'épopée des Abalakov que parce qu'elle dépasse largement leurs exploits. Parce que j'ai découvert les noms des plus grands alpinistes de l'époque là où je n'aurais jamais imaginé les lire. Parce que ce qui fit le plus de ravages dans leurs rangs, ce ne furent ni les œdèmes en haute altitude, ni les chutes de séracs ou la foudre sur des arêtes effilées de rochers. Non, ce fut une calamité qui n'avait, croyait-on, rien à voir avec la montagne : les purges staliniennes.
Il s'agissait de faire reculer toute superstition liée aux cimes, de démystifier ces cathédrales de roche et de glace entourées de croyance. L'enjeu de l'ascension du pic Staline, c'était de remplacer Dieu par le marxisme, sur l'autel de la Terre.
J’avais mille interrogations. Comment les avait-on choisis dans cette Chine populeuse, une poignée parmi des millions ? Par quel miracle les expéditions s’étaient-elles faufilées entre les combats qui faisaient rage au Tibet ? Que s’était-il vraiment passé sur les flancs septentrionaux de l’Everest ? Et puis qu’était-il advenu d’eux par la suite, entre Grand Bond en avant et Révolution culturelle, au milieu des ravages et des arrestations ? Je pressentais que les soldats des cimes n’avaient pu échapper à la fièvre de ces décennies. Que , pour être allés à 8000 mètres, ils n’en avaient pas moins été tributaires des affaires du siècle.
(P 17)