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Critique de Krissie78


Quelle rôle a joué le théâtre dans la perception par les français du continent européen de la colonisation de l'Afrique du Nord par la France ? Comment s'est diffusée par le théâtre l'image des population du Maghreb depuis la conquête de l'Algérie ( 1830 ) jusqu'aux grandes expositions coloniales (1931) ?

Dans sa thèse de doctorat publiée aux Presses Universitaires de Lyon, Amelie Gregorio croise histoire politique, culturelle et sociale pour mettre en lumière l'approche plurielle du théâtre dans ce questionnement. Une approche centrée sur l'Algérie, qui interroge et analyse le rôle du théâtre dans la diffusion de l'idée de colonisation, sa manière de présenter "l'Arabe", le bédouin, le kabyle, la femme arabe, et le rôle du théâtre dans la construction du discours politique et la représentation sociale et culturelle qui s'est forgée au fil du temps dans la population.

Petit rappel initial : "l'Arabe" (pour l'écrire comme l'auteure) est celui qui vient de l'Arabie. L'histoire et le peuple ont étendu ce terme pour désigner l'ensemble des populations du sud du bassin méditerranéen, y associant la religion islamique, pour finir par avoir aujourd'hui une connotation péjorative.

Au travers cette étude très fouillée on voit aussi l'évolution de la place du théâtre dans la société. En 1830 / 1850 c'est un art qui réunit un public hétéroclite et où l'histoire trouve une chambre d'écho immédiate. Grâce à l'analyse de plus de 200 pièces (dont la plupart ne sont pas passées à la postérité), c'est toute l'image d'une société en mouvement qui est décortiquée. On y perçoit l'évolution du regard du monde du spectacle mais aussi l'ambiguïté du positionnement des intellectuels face à la colonisation.

Le travail de Amélie Grégorio est dense mais l'analyse est transcrite d'une manière claire et intelligible. On prend plaisir à se plonger dans toute cette production théâtrale variée, du vaudeville au drame, de la comédie romantique au spectacle équestre, de la tragédie au spectacle musical. Tous les genres sont passés au crible, démontrant le rôle important de cet art dans la construction d'une pensée collective. Il faut souligner la qualité du travail d'historienne qui permet à Amélie Gregorio de replacer avec clarté un contexte politique souvent méconnu. On réalise à quel point pendant ces années le théâtre s'est emparé de cette actualité politique et sociale pour faire chambre d'écho, pas toujours réaliste ou en cohérence avec la réalité, mais aussi terrain d'expression et de réflexion de la pensée politique.

Ainsi d'entrée de jeu "l'Arabe" est représenté comme un sauvage sournois et violent. Puis, que ce soit dans des drames, des comédies ou des vaudevilles la figure de "l'Arabe", qu'il soit héro ou simple pékin, est souvent caricaturée, rarement présentée sous un jour favorable, sauf peut-être pour Abd-El-Kader. Et puis au fil du temps, selon l'image que le monde politique veut diffuser dans le public, la fiction théâtrale en donne une image plus nuancée mais aussi plus fluctuante.

La force du travail d'Amélie Gregorio réside aussi dans l'analyse globale de ce théâtre. Non seulement elle présente la trame des 200 spectacles étudiés, mais rend compte également de leur mise en scène, de leur décors, de la réception qu'ils ont eut tant du public, sur le continent ou dans les colonies, que de la critique.

Un ouvrage que je recommande non seulement aux amateurs de théâtre mais à tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de la colonisation.
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