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Critique de Levant


Se peut-il qu'il y ait autant de talent, autant de passion, autant de souffrance dans un si beau regard? N'est-ce pas d'ailleurs ce qui fait la beauté du regard d'Hélène Grimaud ?

Le talent c'est celui de cette pianiste de génie. Je l'ai découvert en cherchant à faire connaissance avec elle à l'occasion de la lecture de cet ouvrage : Retour à Salem. Je l'ai regardée, et surtout écoutée jouer Brahms. J'avoue sincèrement être tombé sous le charme.

Quant à parler de passion à son sujet, force est d'employer le pluriel. Il faut bien sûr évoquer sa passion pour la musique, mais il y a aussi celle tout aussi forte pour la nature, faune et flore confondues, au premier rang desquels les loups qu'elle évoque comme un symbole. Elle aime les retrouver, les observer au bout du monde, dans un endroit où elle leur préserve un espace de liberté, à Salem aux Etats-Unis.

La souffrance, c'est bien sûr celle qui la submerge au spectacle de cette même nature martyrisée par l'être qui s'est arrogé le monopole de l'intelligence. Hélène Grimaud est une militante écologiste fervente. Son ouvrage est un vibrant plaidoyer pour une planète à l'agonie.

Mais sa souffrance est tout sauf résignée. Elle ne s'exprime pas en jérémiades. Elle s'exprime dans un cri d'indignation, de colère, lancé à la face de l'être obstiné, méprisant et irraisonné, qui est en train de couper la branche sur laquelle il est assis. Retour à Salem est un ouvrage très sombre, voire désespéré : "Je songe à la lame des couteaux qui égorgent, découpent, éviscèrent, aux rivières de sang qui coagulent dans les abattoirs, à notre âme de boucher. Et j'ai envie de pleurer".

Il y a dans cet ouvrage un tiraillement marqué entre ses élans pour une nature enlaidie de jour en jour par l'homme d'un côté et de l'autre la beauté pure, celle de la musique. Car, se prend-t-elle à espérer en citant cette phrase de Dostoïevski, "la beauté sauvera le monde".

Il faut voir et entendre Hélène Grimaud en soliste au piano dans le concerto n°1 pour piano et orchestre de Johannes Brahms pour voir l'énergie, la passion qui se dégagent de sa personne. C'est l'expression d'une sensibilité à fleur de peau qui vit la musique comme l'ultime moyen de faire recouvrer la raison au pourfendeur de la planète. "L'essence de la musique est dans le devenir". Il se dégage de cette artiste une sensualité spirituelle transcendée par ce don qu'elle possède à faire passer des émotions au bout de ses doigts qui courent sur le clavier du piano, tantôt malmené presque martyrisé, tantôt caressé, avec la même alternance que celle des sentiments qui animent cette personne enflammée par son art et sa passion pour la nature.

L'intrigue de l'ouvrage devient accessoire devant le message à faire passer. Johannes Brahms a-t-il relaté sous forme d'un conte fantastique, et sous un pseudonyme, une échappée dans une forêt septentrionale, en quête de révélation. Une confrontation avec une nature dont on imagine qu'elle seule pourrait être l'inspiratrice de toutes ses oeuvres et dont il se plaisait à ravir ses amis et admirateurs, le couple Clara et Robert Schumann, dans la relation si particulière qui les réunissait autour de la musique.

Les espèces vivantes désertent notre monde à une cadence emballée. le silence du chant des oiseaux disparus inondera un jour la planète. Il entraînera alors avec lui le mutisme de l'inspiration. Car Hélène Grimaud nous le clame, c'est la nature qui inspire l'homme dans ses plus belles créations, au rang desquelles la musique a la meilleure place. Faudra-t-il un jour le dire à l'imparfait ?

Retour à Salem est un ouvrage difficile à lire si l'on considère que la vérité est difficile à entendre.
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