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Critique de MMChretien


Assis sur un tas de fumier, affamé, sale, Jean-Marie, un petit garçon orphelin de cinq ans se nourrit de scarabées et évalue avec délice leur saveur, quand il est recueilli par le duc d'Orléans. C'est la vie et le parcours de ce jeune noble, depuis ce jour de 1723 jusqu'à ses derniers instants en 1790, dans un monde ancien en décomposition, qui est décrit dans Le dernier banquet de Jonathan Grimwood, roman tant historique qu'initiatique, qui plonge le lecteur au coeur de la noblesse française du 18e siècle.

C'est Jean-Marie lui-même, devenu marquis d'Aumout, qui remonte le fil de ses souvenirs et narre son histoire au crépuscule de sa vie, une longue existence faite de rencontres, d'amitiés, d'alliances, de négociations, d'amours, marquée par une ascension sociale jusque vers les plus hautes sphères de la noblesse d'Ancien Régime, mais surtout guidée par une passion : la nourriture et l'art de la gastronomie.

Le lecteur suit alors le parcours de ce personnage atypique, parti de presque rien mais qui avait l'inestimable avantage d'être d'origine noble, ce qui permettait à cette époque d'entrer dans les bonnes académies, de fréquenter les familles de poids, de contracter les mariages utiles, d'acquérir les titres les plus prestigieux. C'est donc sans encombre que le protagoniste traverse le siècle en observateur éclairé et lucide du règne de Louis XV, de l'absurdité et de la déconfiture de Versailles et du régime monarchique, embarquant avec lui le lecteur dans cette fresque instructive et surprenante. Le cours de l'Histoire se déploie en toile de fond, et on devine en filigrane des événements tels que le conflit entre le royaume de France et la République de Corse, l'indépendance de l'Amérique, l'effondrement de la société féodale, le spectre de la Révolution française et l'abolition des privilèges.

Et même si Jean-Marie ne vit pas d'aventures extraordinaires ni ne rencontre d'incroyables péripéties, le roman est plutôt prenant et se lit avec intérêt, décrivant les relations sociales et familiales de cette époque, les jeux de cour et les courbettes pour gagner titres et faveurs, les convenances et l'étiquette, les négociations entre grands hommes de l'ombre bénéficiant de l'oreille du roi, les stratégies matrimoniales... Malgré toutes ces pratiques sclérosées, le narrateur reste relativement modeste, indépendant d'esprit, détaché de toute cette mascarade, bon et fidèle envers ses femmes et soucieux de la condition des paysans, confident de Voltaire, amoureux de bonne chère et ami des animaux, dont Tigris, son tigre domestique auquel il porte un attachement plus grand qu'à ses propres enfants.

Mais la grande curiosité de ce roman et de son personnage est cette passion qu'il nourrit pour la gastronomie et l'art culinaire. La nourriture, les mets, les dégustations, les recettes rythment le roman et la vie de l'homme du début à la fin. Le marquis d'Aumout se passionne pour les saveurs, explore la mémoire gustative, décrit la complexité des goûts et les émotions suscitées et s'attache sans cesse à expérimenter, innover, inventorier les aliments, à élaborer recettes et méthodes de conservation, à tester et accommoder tout ce qui peut être comestible, jusqu'aux viandes et substances des plus exotiques et insolites : l'antilope, le flamand rose, le chien, le loris et même le lait maternel, sans compter la toute dernière et improbable dégustation précédant sa mort.
Cette obsession fait du Dernier banquet un roman extrêmement sensuel et charnel, parfois jusqu'à l'écoeurement, dans lequel le plaisir des sens, les goûts, les odeurs, les matières, les textures sont minutieusement décrits et exacerbés, si bien que même le lecteur gourmet ne sera pas toujours alléché par les expériences culinaires du téméraire narrateur, rapportées sous forme de vraies recettes de cuisine que l'on se gardera bien de reproduire.
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