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Critique de berni_29


Le poids de la neige est un roman écrit par un écrivain québécois, Christian Guay-Poliquin, auteur que je découvre ici, dans le cadre de la sélection du prix littéraire Cezam 2019.
Ce sont des pages emplies de silence et de blancheur. Le paysage vient progressivement se mélanger aux pages qui nous invitent au voyage, la blancheur est tout d'abord comme un étonnement, une lumière et bientôt peu à peu devient lourde, comme obsédante, la neige vient alors peser sur les ramures des arbres, les toits des maisons et les pages que nous égrenons. C'est une neige qui règne sans partage.
Nous ne savons pas grand-chose de ce qui s'est passé avant que ne débute le récit. On dirait que plane le souvenir d'un drame encore récent...
Un homme au bord d'un village est recueilli par des personnes, il a été victime d'un très grave accident de voiture. Il s'agit du narrateur. Il se retrouve piégé dans ce village que la neige recouvre peu à peu, d'une manière immuable. Il est loin des siens, coupé du reste du monde, une panne d'électricité semble avoir touché bien plus que les limites de ce village.
Le temps est là, qui avance très lentement, qui tente de cicatriser les blessures physiques et celles plus anciennes. Le temps cicatrise ce qu'il peut, avec ce dont il dispose, à portée du jour, loin de l'emprise des mains.
Parfois la neige cesse de tomber. Parfois elle recommence à venir. Nous voyons ainsi le paysage se modifier sous les yeux des personnages, une sorte d'angoisse, d'oppression et de blancheur immense s'animer pas à pas.
Ce sont deux hommes forcés de cohabiter dans un univers fermé, étroit, presque forcés de s'entraider, du moins l'un doit s'occuper de l'autre tout au début du roman... Ce sont deux hommes prisonniers l'un de l'autre.
C'est presque un huis clos entre un vieil homme qui s'appelle Matthias, qui est chargé de s'occuper du narrateur, bien plus jeune que lui, mais il est blessé aux jambes à la suite d'un accident de la route et ne parle pas à ses interlocuteurs.
C'est un des paradoxes de ce roman : un vieil homme qui a la force de prendre soin d'un homme plus jeune que lui, blessé.
On ne sait pas la raison de tout cela, ces femmes et ces hommes, par moments aux abois, qui semblent s'organiser comme ils peuvent, survivre presque.
Le narrateur contemple le paysage, tandis que Matthias s'affaire à aider, faire le ménage, cuisiner, laver le jeune homme, lui apporter les soins nécessaires. Au début ce n'est pas de gaité de cœur que Matthias fait tout cela, on l'a un peu contraint à le faire.
Le narrateur est emmuré dans un silence mutique et cela agace Matthias. On ne sait pas pourquoi il ne parle pas.
Et puis brusquement un jour il crie : « Au feu ! Au feu ! ». Matthias accoure et découvre alors que son hôte peut parler.
Il y a aussi Joseph, il y a José. Et puis il y a la belle Maria. Elle est vétérinaire. C'est elle qui a apporté les premiers soins au narrateur, faute de médecin présent. Ces personnages viennent et reviennent vers la maison, au rythme des jours qui s'écoulent dans cet hiver interminable qui recouvre peu à peu le village et ses maisons, viennent rendre visite à Matthias et son hôte.
Le silence du narrateur ressemble au silence du paysage. Parfois, nous avons l'impression qu'ils font corps, c'est une étrange harmonie.
Peut-être qu'il ne se passe rien dans ce roman... Ou bien, dit autrement, peut-être qu'il ne se passe rien aux yeux de ceux qui ne prennent pas le temps de capter la présence des personnages, leurs silences, leurs mouvements, leurs battements de cœurs, leurs regards par-dessus le paysage, tentant d'imaginer ce qu'il y a derrière, ce qu'il va advenir plus tard...
C'est un livre où il y a de l'attente, de l'angoisse aussi, peut-être du désir. Maria n'est jamais loin même lorsqu'elle n'est jamais là...
C'est une amitié un peu forcée au début. Mais elle existe, elle est là, elle se forge parmi la neige qui tombe et l'attente
Étrangement, ce paysage figé par la neige devient vivant, s'anime.
Par-delà ce huis clos, l'auteur nous invite à une réflexion : que devenons-nous lorsque nos repères de modernité, ici l'électricité, sont défaillants dans la durée ? Des voisins se parlent soudainement, les relations humaines en sont bousculées. Des choses belles, mais aussi des choses moins belles peuvent venir de tous les côtés, inattendues.
Parfois les silences ne sont pas pesants. D'ailleurs, les silences ne devraient jamais être pesants. Ce livre nous invite à questionner ces silences de nos vies qui parfois nous encombrent, nous pèsent et devraient plutôt ressembler à la neige dans ce qu'elle a de légère et de sublime.
Je vous livre ici une anecdote personnelle qui va vous faire sourire, du moins parmi les plus jeunes d'entre vous. En 1974, j'avais douze ans, lorsqu'un attentat en Bretagne, perpétré et revendiqué par une organisation indépendantiste bretonne, priva l'Ouest de la Bretagne de télévision pendant plusieurs semaines. Eh bien, chers amis, la vie ne s'arrêta pas là. Il y eut des jeux de société, des soirées de conte, des soirées entre voisins, il paraît même que le taux de natalité grimpa neuf mois plus tard... Je me souviens d'une période qui fut tout d'abord un choc effroyable (finis Zorro, Skippy le kangourou, Flipper le dauphin... !) et puis quelque chose de merveilleux vint à force d'apprivoisement de ce silence qui nous tombait dessus brutalement. Dans ma famille, nos soirées étaient devenues inventives, nous avions ressorti des placards les jeux de société et nous nous regardions enfin...
J'ai aimé ce livre, sa rudesse, sa tendresse et son chemin. Son humanité. Les personnages cheminent entre eux, s'opposent au départ, se rejoignent peu à peu...
J'ai aimé marcher dans la neige de ce roman, mais aussi attendre avec les personnages du récit, je me suis senti en totale empathie avec eux dans cette attente, j'étais parmi eux dans la neige, sous son poids et peut-être aussi dans sa légèreté. Ce qui m'a plu dans ce roman, c'est que dans cette neige qui s'accumule inexorablement, deux hommes diamétralement opposés ont pu se rapprocher peu à peu l'un de l'autre...
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