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Critique de Dossier-de-l-Art


Le livre de S. Guégan commence par intriguer : qu'est-ce que « l'art en péril » ? Et pourquoi cette découpe bizarre du temps, 1933-1953, qui ne correspond à aucun mouvement d'histoire de l'art connu ? Mais dès les premières pages, on saisit le propos. L'ouvrage traite de l'art français (ou créé en France) entre deux dates clés : celles de l'avènement au pouvoir d'Hitler et de la mort de Staline. Pendant la montée des fascismes, le pacte germanosoviétique, la Seconde Guerre mondiale et la guerre froide, comment les artistes se sont-ils adaptés, engagés ou évadés, en esprit mais aussi physiquement, en émigrant ? Vingt ans d'une vie, c'est déjà presque une carrière, qu'il fallait construire malgré la menace de la censure, de la captivité ou de la mort. La tourmente était aussi intellectuelle : après les traumatismes de 14-18, pouvait-on encore peindre selon les codes de la figuration classique ? Que fallait-il représenter pour être novateur, plaire au public, à la critique et à l'État, lui aussi acquéreur d'art contemporain ? À toutes ces questions, l'auteur répond sans refaire une histoire du surréalisme ou de l'abstraction, d'aucun secours pour comprendre ces périodes ambiguës. le dossier a déjà été traité de cette manière. Il aboutit à une vision cent fois remâchée de la victoire valeureuse des avant-gardes sur les arrière-gardes. Vision biaisée, qui ne rend pas compte des flottements des uns et des autres et surtout de ce qui est démontré ici : malgré l'occupation allemande, les années de guerre furent fructueuses. Les artistes de toutes obédiences politiques revendiquèrent une esthétique du « renouveau » selon des styles très différents, souvent figuratifs. Certains choisirent de témoigner ; d'autres préférèrent un monde riant, intemporel, dont l'ironie ne fut pas toujours comprise. le jeune couple de Picabia, qui illustre la couverture du livre, semble ainsi être l'incarnation de la « révolution nationale » prônée par le régime de Vichy. Mais il en est aussi l'image outrée et sarcastique, qui se joue de l'académisme. Toute l'ambivalence de la période apparaît dans cette oeuvre et dans d'autres, analysées selon les parcours individuels de chaque créateur. Car S. Guégan a construit son livre en trois parties chronologiques, mais à partir des destins singuliers des artistes. Chacun d'entre eux fait l'objet d'un petit chapitre, illustré d'une oeuvre emblématique. Cette formule, concise mais riche, est l'occasion de (re)découvrir des peintres importants, aujourd'hui oubliés ou dédaignés. Par l'écriture vive et jubilatoire, le lecteur est littéralement happé dans le monde de l'avant et de l'après-guerre, qu'il regarde de manière décalée, d'un oeil neuf. Certaines pages opèrent même de véritables révélations : les tableaux s'incarnent, deviennent limpides et prennent tout à coup leur véritable sens. L'histoire et le politique s'articulent enfin avec la peinture sans a priori, sans cliché et sans naïveté. Et comble du plaisir, les oeuvres sont magnifiquement reproduites et parfaitement bien choisies.

Par Christine Gouzi, critique parue dans L'Objet d'Art 520, février 2016
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