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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"This is Major Tom to ground control :
I'm stepping through the door,
and I'm floating in a most peculiar way..."
(D. Bowie, "Space Oddity")

J'ai eu exactement ce à quoi je m'attendais : 200 pages remplies de souvenirs, émotions et de nostalgie, me rappelant ma propre enfance. Il est vrai que j'en ai lu d'autres, mais il n'y a que "Les cosmonautes" et "Marzi" de M. Sowa qui m'ont rappelé des souvenirs avec autant d'intensité et de précision.
"Marzi" se passe en Pologne et ce petit roman d'Elitza Gueorguieva en Bulgarie, mais finalement, peu importe. L'époque communiste était vue à peu près de la même façon par tous les enfants qui grandissaient dans l'ancien bloc de l'Est.

Le livre d'Elitza raconte, sur une période de dix ans, les déboires d'une petite fille qui vit la transition démocratique en Bulgarie, mais aussi les déboires de ce pays qui "grandit" en même temps que la petite narratrice. Un tas de changements en perspective ! Le tout est raconté à la deuxième personne du singulier, ce qui n'est pas sans charme et renforce encore l'illusion que cette histoire est aussi la tienne...

Quand tu as six ans et que tu fais ta première rentrée, tu as besoin de repères, et rien de tel que le communisme pour te les fournir. Tout marche à merveille. Tes parents sont à l'abri du chômage, les fournitures scolaires sont offertes, et il n'y a pas de jaloux, car tout le monde porte les mêmes baskets Botas et l'identique informe manteau ocre Makyta Puchov. Si tu as de la chance, t'auras un arrivage d'oranges au Konzum tous les mois, mais pour les mandarines, il faut attendre le passage du gentil St. Nicolas en décembre. Même si le "jogging" est une mode capitaliste, tu restes mince, car toutes les étoffes féeriques créées dans les pays de l'Est - Krimplen, Chemlon, Dederon - font merveilleusement office à la fois de vêtement de sudation et d'éponge grattante/massante. T'éprouves beaucoup de pitié envers les enfants qui grandissent derrière le rideau de fer, car ce sont des "impérialistes", et tu sais bien que l'impérialisme est "pourri" et qu'ils n'ont vraiment pas de chance, les pauvres ! C'est à l'école que t'apprends tout ça, mais aussi grâce à ta télé Tesla Orava, et tu ressens une immense gratitude envers ton frère Soviétique, car il t'a évité l'horrible pourriture en la remplaçant par des lendemains radieux. Il fournit même les super-héros comme Iouri Gagarine, et toi aussi, tu veux devenir comme Iouri, oh oui.
Et tu n'arrives pas à comprendre pourquoi tes parents râlent, parfois...

Mais arrive un jour de révélation, quand un de tes potes (dont la tante a émigré en Suisse) arrive vêtu d'un véritable jean et ouvre devant tes yeux ébahis un chocolat Milka. Cette vache violette a le parfum de l'interdit, et ton propre chocolat Barila Orion te fait subitement penser à un vulgaire tas de bouse de vache. Ton pantalon en krimplen te démange d'une façon toute nouvelle, et tes baskets Botas se mettent d'un coup à ressembler aux godasses informes d'un clown, à côté de ses Nike qui portent le nom de déesse de la victoire. Même ta chère vieille poupée Jarmila prend, sans crier gare, des airs d'une kolkhozienne prolétarienne, comparée à la Barbie élégante et élancée de ta copine P., ou à celle de Constantza dans le livre, qui posséde en plus un éléphant doré. T'es un peu jalouse... Et tu commences à comprendre que quelque chose cloche.

Et puis, un mur tombe, mais pas n'importe lequel !
Toutes tes certitudes d'effondrent, mais l'espoir général monte. Le décor que tu croyais immuable devient tellement instable que tu n'arrives pas à assimiler la vitesse de tous ces changements. La rue "Gagarinova" depuis l'éternité change de nom, ton école aussi, et même Iouri, ton idole à jamais, est facilement évincé par les autres qui arrivent en masse. Surtout Kurt Cobain. Alors tu déchires ton teeshirt et tu bidouilles ta vieille guitare pour pouvoir jouer en "distortion". T'oublies exprès le russe, et tu te mets à l'anglais, pour pouvoir chanter "Come as You Are".
Les élections démocratiques arrivent, mais aussi la corruption, les arnaques téléphoniques, McDonalds, les bouquins feel-good... tout pêle-mêle. Il n'est pas étonnant que ton grand-père, un "vrai" communiste, commence à perdre la tête, n'est-ce pas, Elitza ?

Mais les cosmonautes ne font que passer, ainsi que les Kurt Cobain et un tas d'autres idoles.
Je viens d'évoquer mes propres souvenirs, mélangés un peu au livre. C'était vraiment la même chose, peu importe si dans votre classe de CP est accroché un portrait du camarade Jivkov ou de soudruh Husak. Ils attendent que vous n'ayez plus besoin de ces idoles, car vous avez enfin grandi et trouvé votre propre chemin.
Parfois je lis des commentaires sur des chansons ou des films des années 60-80, souvent très nostalgiques de cette époque dont on avait une telle hâte de sortir.
Mais ce n'est pas la nostalgie du totalitarisme. C'est la nostalgie du passé, de l'enfance, de l'insouciance, et du temps où tout était encore devant nous, "l'avenir radieux" y compris.

Salut, Elitza ! Moi non plus, je ne sais pas où est passé mon foulard rouge, et comme à toi, il ne me manque pas. Pourtant, quelque chose manque quand-même, non...?
Quatre étoiles et demi, avec un regret que ce soit aussi court.
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