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Critique de PhilippeCastellain


Très peu, d'hommes du peuple ont écrit ou dicté leurs mémoires. le premier à l'avoir fait est généralement considéré comme étant Franz Michael Felder (1839 – 1869), simple paysan autrichien ayant cependant reçu une éducation élémentaire. Nous sommes ici dans un cas un peu similaire : Etienne Bertin naquit en 1823, et fut toute sa vie métayer dans le Bourbonnais. Lui n'avait jamais reçu d'éducation, et resta toute sa vie illettré. C'est Emile Guillaumin, écrivain français et lui-même paysan, qui recueillit ses souvenirs dans les années 1900, et les retranscrivit fidèlement en les relisant plusieurs fois à l'intéressé pour qu'il puisse corriger si besoin.

Nous pénétrons de plein pied dans la vie d'un paysan français du XIXème siècle, et le contraste est d'autant plus violent qu'Etienne Bertin parle avec une telle simplicité et un tel bon sens qu'on a parfois l'impression d'avoir affaire à un contemporain ! Non seulement sa parole est dénuée de ces tournures et manières élégantes qui nous rendent souvent les classiques laborieux, mais çà et là on y trouve quelques véritables pépites qui montrent à quel point le caractère humain, lui, reste inchangé au fil des époques !

Le moins qu'on puisse dire c'est que la vie est dure, très dure. Etienne Bertin fait partie d'une famille de métayer, c'est-à-dire de paysans ne possédant pas de terres et louant une ferme à baille. En tant que tel ils sont soumis au bon vouloir de leur propriétaire… Certains ne se gênent pas pour les arnaquer, d'autres sont incompétents, quelques-uns ne cachent pas leur mépris pour les culs-terreux en sabot qui triment sur leurs terres. le travail est permanent, éreintant. Douze ou quatorze heures, même quand la neige tombe drue ou qu'il gèle à faire éclater les arbres…

Mais la société qui nous est ici révélée est complexe, bien plus que la simpliste opposition entre bourgeois et travailleur. Une hiérarchie sociale fine existe entre, dans l'ordre, gros propriétaires terriens exploitant de vastes domaines, petits propriétaires terriens (quelques métairies), paysan indépendant propriétaire de sa ferme, chef de famille de métayer, valets et filles de fermes, et petits valets (enfants et adolescents placés). L'auteur lui-même, promis à être valet de ferme de par son statut de cadet, réussit à devenir chef de métairie grâce à un ‘beau' mariage – en épousant une fille qu'il n'aime pas mais dont les parents ont un peu de biens ; sa dote lui permettra d'acheter le matériel nécessaire pour s'installer. La malchance, et les arnaques des propriétaires ou de leurs régisseurs, entraveront ses efforts, qui sans cela lui auraient sans doute permis d'acquérir sa propre terre. Lui-même et son épouse ne se montreront pas non plus très tendres avec leurs valets – ces derniers finissant même par éviter leur service.

Une certaine mobilité sociale existe donc : le premier patron de sa famille est petit-fils de métayer – ce sera aussi le plus malhonnête avec eux. L'un de ses frères réussit un moment à acquérir sa terre – avant de tout perdre stupidement. L'une de ses soeurs se fera domestique, et son fils deviendra comptable – la visite de ce petit bourgeois parisien chez son oncle paysan est un moment à la fois drôle et triste, tant le décalage est impressionnant et les efforts des uns et des autres touchants.

Plongez dans la vie de ceux qui furent à peu près sûrement VOS ancêtres – à moins que vous n'ayez que du sang bleu. Toute la France vient de cette paysannerie. Ces hommes qui n'ont jamais été plus loin que le village voisin, qui avaient pour principal soucis ce qu'ils mangeraient l'hiver et quel champ faucher en premier, ce sont eux qui ont construit ce pays pierre par pierre, qui en ont labouré chaque champ, construit chaque route. Ils furent la France, ils ont fait la France, ils ne sont plus. Paix à eux, et laissons leur une place dans nos coeurs.
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