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Critique de berni_29


Quotidiennes, c'est un recueil de poèmes d'Eugène Guillevic, poète breton qui a signé cet ouvrage comme à chaque fois de son seul nom Guillevic, nom qui sonne comme celui d'un sol à la fois rocailleux et marin de Bretagne.
Quotidiennes, ce sont comme des missives écrites en regardant un ciel à travers une fenêtre qui traverserait les saisons, un lien, un trait d'union, une passerelle...
Elles sont ma première incursion dans l'univers de ce poète. Elles sont une parole presque chuchotée, presque à mi-voix, à mi-chemin entre ciel et terre. Elles m'ont touché au coeur.
Ces poèmes viennent tardivement dans l'oeuvre du poète, au soir de sa vie, écrits entre novembre 1994 et décembre 1996, ce sont sans doute les tous derniers, Guillevic déjà malade depuis quelques années mourra le 19 mars 1997. Quotidiennes a été publié quelques années après la mort de Guillevic, grâce à sa veuve Lucie Albertini.
Ici Guillevic tutoie le règne végétal et le règne animal, de préférence insectes ou oiseaux, quelque chose qui vole, qui embrasse le ciel et l'espace, qui se pose sur son regard prêt à se fondre dans le paysage.
Le minéral aussi entre dans ce dialogue, un rocher parfois surgit à fleur de mots, qui ressemble peut-être à ceux d'une plage de son enfance, du côté de Groix ou de Carnac, lorsqu'il était encore un peu étranger au monde...
Ces poèmes, dépouillés, presque nus, sont des battements d'ailes qui questionnent l'intime et l'universel.
Voir avec les yeux d'une guêpe, ressentir avec l'étreinte d'une forêt, le chant d'un rossignol, la courbure d'un acacia...
Ici, l'étonnement presque candide tient lieu de beauté.
La musique de ces poèmes est touchante car on y devine l'émotion d'une fin prochaine.

« Moi je sais qu'un jour
Je vais mourir,
Toi, tu ne dois pas le savoir. »

Guillevic n'a pas eu le temps de retoucher les derniers poèmes de ce recueil et c'est peut-être mieux ainsi.
La vie est ailleurs peut-être, autour de lui, mais c'est comme un autre monde plus intime qui se construit au fond de lui, ce sont des pages presque quotidiennes qui viennent se lover dans l'intériorité silencieuse d'un poète au soir de sa vie.
Et tandis que la mort approche pour y faire son nid, les mots d'un poème sont peut-être désormais la seule manière d'y faire face, se fondre dans les yeux d'une guêpe ou le chant d'un oiseau et s'y plaire à jamais...

« Autrefois,
Quand j'étais gamin,
Je me sentais étranger au monde,
C'était
Comme si je n'en étais pas –

Et je me suis appliqué
À m'incorporer à ce tout.

Maintenant où s'approche ma fin ;
Et je le sais, je le vis,

Maintenant
Je n'ai plus d'effort à faire
Pour sentir pleinement le monde
Seconde après seconde.

Il est là , je suis en lui,
Je suis à lui,
En lui, je me plais. »

Il y a des endroits au monde où le ciel est plus grand. Un livre de poésie, par exemple...
Ce que j'ai aimé dans cette rencontre avec Guillevic, c'est qu'il n'est plus devant le paysage, mais dedans, et brusquement dans cette communion intime avec la beauté de la nature, c'est le paysage qui est dedans lui.
"La beauté sauvera le monde", disait Dostoïevski.
La beauté du monde entre parfois en nous pour nous sauver et seule peut-être la poésie sait poser les mots qu'il faut pour dire ce voyage intérieur.
Ici les mots de Guillevic sont traversés de douceur et d'apesanteur. Oubliés de lui-même.
Face au vivant, on n'est jamais seul, jamais lourd, même si près de la mort, surtout si près de la mort...
La mort attendra encore un peu, l'amour est là à proximité des mots, l'amour de celle qui lui a peut-être tenu la main une dernière fois, fermé les yeux et qui nous a transmis ces toutes dernières missives comme un chant offert au monde.

« Ce besoin de clamer
Que je cherche quelque chose de plus,
De total –

Où le monde tout entier
Chanterait par toi

L'espèce de royaume

Que le soleil couchant
Ferait avec les océans et les terres,

Et avec toi aussi, mon amour,
Si tu le voulais bien,

Nous deux chantant
Le bonheur presque là. »
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