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Critique de HordeDuContrevent


J'avais choisi ce petit livre pour Noël, un livre à déguster entre deux chocolats. Sans trop savoir à quoi m'attendre, attirée par la couverture emplie de ronds blancs tels des flocons de neige ou des éclats de lumière. Attirée par le titre aussi. Récit de lune m'évoque un récit mâtiné d'ombres, de reflets de nacre, d'obscurité luminescente…Il est bon, parfois, de ne rien savoir et d'avoir foi en un choix hasardeux guidé juste par un titre, une image, une bonne maison d'édition, Zulma ici en l'occurrence.
Hier soir me voilà à l'ouvrir, juste pour découvrir l'incipit. Et je l'ai reposé deux heures plus tard, le coeur gros, émerveillée par la plume de cet auteur taïwanais qui m'est totalement inconnu. Ce livre est délicat, superbement écrit et surtout comporte une tension dramatique telle que je n'ai pas pu le poser sans connaitre la fin.

Taïwan, années cinquante. Atteint de tuberculose, hanté par les souvenirs de la guerre et les bombardements américains, Tiemin est soigné avec un dévouement extrême par sa jeune épouse Wenhui. Celle-ci s'oublie complètement et se sacrifie afin que son mari, qu'elle connait encore si peu comprend-t-on, retrouve la santé et avec elle les perspectives d'un bonheur conjugal. Tellement de soldats ont péri que la maladie de Tiemin a beau être grave, elle lui permet de rester chez lui jusqu'à la fin de la guerre sans retourner au front. Quoi de plus réconfortant ? Elle est prête à affronter tous les tourments du monde pour le soigner. Peu à peu cependant, alors que tarde la guérison, cette vie de garde-malade va entacher son optimisme béat de jeune fille.

« Au-dessus d'elle surgirent les étoiles qui, une à une, s'accrochèrent au ciel lisse. Dehors elle aspira à longs traits la fraicheur de l'air. Cependant son corps las, plein de courbatures, avait peine à recouvrer sa vigueur après une dure journée de rude besogne – non, pas seulement la journée : la sensation d'épuisement ne la quittait plus ».

Grâce à ses efforts incessants et avec l'aide du docteur Cai, il finit par guérir. Peu à peu les conversations avec ce docteur érudit et passionné vont l'animer (notamment au sujet de Tolstoï dont il y a de magnifiques évocations dans le livre), peu à peu les sorties de pêche avec Wenhui vont le sortir de sa léthargie. Il pose sur sa jeune épouse un regard nouveau, un regard empli de gratitude et de sensualité. Ce regard subreptice est magnifique et offre aux lecteurs des tableaux sensuels et champêtres de toute beauté. le bonheur est là, frémissant, fragile cependant dans ce retour à une normalité et à une intimité qu'ils n'ont jamais partagées.

« Sa chevelure lavée de frais, souple et épaisse, ondulait doucement, comme si elle racontait une histoire. Tiemin s'approchait d'elle par derrière et la prit par la taille. Pourtant il se sentait un peu embarrassé. Depuis sa maladie, il était devenu encore plus réservé qu'auparavant. En réalité il s'était contraint à l'enlacer. Il était impossible que son geste un peu brusque n'ai pas été induit par quelque attirance physique, mais au contact de son corps, le désir fit aussitôt place à un autre sentiment".

Avec le début des relations sociales nouées grâce aux invitations du docteur Cai, il se voit peu à peu impliqué dans une tempête politique dont il tient sa femme totalement à l'écart. Passive, se dévalorisant, complètement isolée, juste bonne à l'entretien de cette maison devenue cage, une insidieuse angoisse s'installe. Cette situation d'incompréhension, d'injustice ressentie et de jalousie enfouie va la pousser à faire une chose dont les conséquences vont la dépasser totalement.

La fin est aigre, amère, terrible…telles des gouttes de citron jetées en pluie sur une plaie ouverte…

Guo Songfen est un des grands nouvellistes taïwanais contemporains. En raison de ses opinions politiques, il s'est exilé dans les années 60 aux Etats-Unis. Traduit pour la première fois en français en 2007 avec ce livre, nous découvrons une plume raffinée, poétique, l'art de poser une ambiance d'une saveur douce-amère. Un récit dans lequel la guerre et la situation politique sont très présentes, sans que cela viennent ternir, affaiblir, l'histoire de Wenhui et de Tiemin qui reste le drame principal de cette pièce.

J'ai été littéralement émerveillée par la poésie de cet écrivain…oui, quelle délicatesse dans son écriture… même la tuberculose se pare d'une certaine poésie : « Durant tout le trajet en train, Wenhui avait tenu le mouchoir ensanglanté serré dans sa main. Les tâches écarlates avaient déjà pâli, on eût dit des pétales de fleurs fanées à la lumière du jour ».
La poésie se veut pudeur et délicatesse. Il ne s'agit pas de pétrir à l'excès le texte de bons sentiments, non, les choses sont dites, le sang est dévoilé, il s'agit de les narrer avec beauté, un peu de recul. Dire l'horreur avec élégance.
La poésie de Guo Songfen est également là pour porter la beauté à son incandescence … « Ce jour-là, Madame Yang était vêtue d'une robe bleu délavé aux reflets mauves. Lorsque, depuis la ruelle ensoleillée, elle pénétra à l'intérieur, ce fut comme si un lac s'étalait dans le vestibule »…

Pour clore cette critique, un portrait de Wenhui que je trouve si beau, voyez donc :

« La flamme ondoyait sous le vent du soir, éclairant son corps de sa lueur vacillante. Sa robe de style occidental était fermée sur le devant par une rangée de petits boutons ronds constitués de coquillages argentés aux reflets mauves, qui scintillaient devant ses yeux à la clarté de la bougie. Ce corps d'ordinaire vêtu d'étoffes fleuries lui apparut ce soir-là paré d'un charme insolite. Devant ce vêtement qui se soulevait et s'abaissait à chaque respiration, il songea à l'étang de la montagne derrière la maison, sur lequel les lotus aux tiges frémissantes dressées vers le ciel portaient des boutons sur le point d'éclore ».

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