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Critique de Kirzy


Une mère, son fils, une chaise à dos. Marie est en fin de vie et lui demande de la porter jusqu'au sommet d'une montagne, selon la coutume japonaise de l'ubasute consistant à abandonner ainsi une personnage âgée pour la laisser mourir.

Pour apprécier la beauté de ce texte, j'ai du chasser préalablement chasser l'incompréhension de voir cette coutume japonaise mythique pratiquée par une Française n'ayant aucun lien avec le Japon. Au-delà de cette incohérence initiale, il s'agit pour l'auteure de parler de la fin de vie, du deuil et de la transmission. Et elle le fait avec une pudeur, une sobriété et une sensibilité qui ont fini par emporter mon adhésion.

Cet ultime voyage est plus qu'une simple marche physique, il revêt d'meblée une dimension spirituelle : chacun marche avec soi-même, Marie revisitant son passé, égrainant ses souvenirs ; chacun marche avec l'autre. Malgré la connaissance qu'ils ont l'un de l'autre, la mère et le fils se rencontrent enfin et transitent au-delà de la pudeur, pouvant enfin se dire les mots qu'ils n'avaient pas se dire avant. Pour se dire adieu.

« J'abdique sur ton dos, encore une fois, sous la puissance qui embrasse l'ensemble de mes heures, passées, présentes et à venir. Je sais que les retrouvailles auront lieu, malgré les courants imprévisibles de ma vie, et que mes aimés, peut-être grandis par la douleur des détours, m'accueilleront au seuil de l'éternité. »

L'écriture d'Isabel Gutierez a quelque chose du funambule qui trouve son équilibre comme un miracle, évitant tous les écueils du pathos ou du mélo à gros trait. Avec une économie de mots proche de l'épure et une qualité d'écoute des silences, elle parvient à parler de mort et de deuil avec poésie et douceur. On est très loin de la violence et de la cruauté de la Ballade Nayarama ( film de Shohei Imamura également sur l'ubasute ). Ici, tout n'est que lumière et sérénité.

« Lentement, il dénoue les extrémités de la couverture, le corps abandonné de Marie glisse le long de son dos et, roulé sur lui-même, en position foetale, s'affale sur le sol comme une voile en mer calme. Pierre se retourne, s'accroupit et enveloppe la mère et son petit sac de voyage dans l'arrondi de laine. Dans l'obscurité émaillée de quelques scintillements , ses gestes sont comme ralentis par la peur de réveiller le corps endormi. Ils ne sont plus qu'à une petite centaine de mètres du grand rocher. Pierre s'approche un peu plus près du corps de Marie qu'il devine plus qu'il ne voit et le soulève, poids plume détaché tendrement du sol.  Dans un élan à la fois doux et assuré, il vient caler la tête de la mère au creux de son épaule, petit oiseau au coeur du nid. Puis, face à l'énorme masse sombre érigée dans le noir tremblant de la nuit, il se remet en route, une enfant dans les bras. »

Après les magnifiques dernières pages, bouleversantes d'humanité, on quitte ce texte chuchoté à l'oreille étonnamment apaisé.

Lu dans le cadre de la sélection des 68 Premières fois #12
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