Le voyage a rassuré mes peurs. Une à une.
Mon père dit que l'adolescence est un tunnel, j'imagine plutôt un gouffre, un vortex qui nous aspire et nous recrache tout cabossés cinq ans après.
Ouvrir les yeux à 20 ans a été mon grand avantage. Au fond, le monde appartient à ceux qui rêvent tôt.
En Algérie, c'est une plus-value d'avoir un passeport suisse, en Suisse c'est un malus d'être arabe.
Mes premiers souvenirs d'enfance sont liés à la séparation de mes géniteurs, j'avais 3 ans. Un histoire de fidélité approximative. En même temps, il fallait s'en attendre: mes parents étaient tous les deux facteurs.
Aujourd'hui, je sais que si la vérité blesse, ce sont les silences qui tuent les couples.
Je m'étais transformée en mutante acnéique, je ne faisais plus confiance à personne et ressentais une profonde colère. J'en voulais aux adultes d'être si lâches, aux adolescents d'être impitoyables, à l'enfance de ne pas avoir voulu me garder plus longtemps. Et bien sûr, je m'en voulais à moi d'être si bizarre, de ne pas savoir m'adapter. Est-ce cela l'adolescence ?
C'est dont vrai : "L'âme cesse d'être solitude quand elle devient sanctuaire."
Souvent, j'essaye de fermer les yeux, de me préserver. Mais, très vite, la réalité me rattrape. Elle est partout, la garce, et elle court vite.
Je me questionne quand j'entends ma mère râler sur son métier depuis plus de vingt ans. Est-ce vraiment ça, la vie, "faire aller"? Comment peut-on supporter ça? Réveil à 6 heures, embouteillages sous la pluie, petit chef véreux, pauses pipi chronométrées, déjeuner sur le pouce, gestes répétitifs, automatiques et abrutissants, la menace du burn-out, la peur du licenciement... Tout ça pour rentrer à la maison épuisé. Produire, toujours plus, toujours plus vite. Être finalement dépossédé de cette production. Et tout ça pour consommer les marchandises faites par d'autres.