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Critique de Osmanthe


Pour bien apprécier cet excellent récit, qu'on pourrait qualifier d'historique romancé, il est nécessaire de poser le contexte du Japon en 1637, souvent très mal connu du lecteur occidental. Déjà, l'organisation politique : il y a l'Empereur, certes, mais le pouvoir réel est aux mains du shogun, sorte de premier ministre tout puissant, auquel obéissent des daimyos, vassaux régionaux. Les samouraïs en sont les serviteurs guerriers dévoués, mais il existe des samouraïs sans maîtres. Et puis il y a en cette époque la difficile question du rapport aux chrétiens. En 1587, 50 ans avant les évènements relatés dans ce récit, le shogun Toyotomi Hideyoshi a interdit le christianisme. Certains daimyos de l'île de Kyûshû avaient été tolérants, on sait que le catholicisme a pu notamment se développer autour de Nagasaki. Sous la lignée de shoguns Tokugawa, qui va gouverner le pays de 1600 jusqu'à l'avènement de l'ère Meiji en 1851, le pays se referme à l'étranger, et les chrétiens doivent apostasier ou mourir. L'histoire se déroule sous le « règne » de Tokugawa Iemitsu, le petit-fils du fameux Ieyasu.
En 1614, un jésuite japonais, devant se résigner à quitter le pays, délivre la prophétie du Hankan (miroir du futur), selon laquelle un jeune Tendo (Envoyé) viendra sonner la révolte des chrétiens. En 1637, la prophétie est en passe de se réaliser, Amakusa Shiro est désigné pour porter les espoirs de tout le petit peuple du Kyûshû, souvent des paysans, qui non seulement entendent vivre leur culte catholique librement, mais aussi n'en peuvent plus du racket des daimyos. L'heure de la révolte, religieuse et sociale donc, est venue dans la péninsule de Shimabara, en face de Kumamoto. Plusieurs châteaux de Daimyos sont pris d'assaut par ces milliers de paysans combattants et samouraïs sans maître, facilitée par l'absence contrainte de certains de ces seigneurs, que le shogun contraint à séjourner la moitié du temps à Edo, où ils peuvent mener un grand train de vie, pour mieux les avoir à l'oeil et éviter les traîtrises. Ce qui ne semblait être qu'une petite jacquerie au début commence néanmoins à les inquiéter, et bientôt ils devront mobiliser des troupes de vrais militaires pour réprimer ces insurgés. Si ceux-ci, non aguerris au combat, ont la force décuplée par leur foi et de leur volonté de s'émanciper de longues années de joug, la réserve armée du pouvoir est presque sans limite et afflue au besoin pour sauver les potentats locaux et le shogunat. le rapport de force semble bien déséquilibré…Masuda Shiro, alias Amakusa Shiro, cet adolescent à qui au début de l'aventure ses complices ont caché que son père a succombé sous la torture pour avoir refusé de renier sa foi chrétienne, va mener son armée improvisée et aller au bout de son destin, à l'image d'une Jeanne d'Arc.

Roland Habersetzer est historien de métier, qui plus est passionné de Japon, il a signé plusieurs ouvrages aux éditions Budo, autour des arts martiaux. Son récit est le fruit d'un travail assez extraordinaire de documentation, ce que le livre rend merveilleusement, grâce à de riches annexes géographiques, historiques. Ces annexes comportent aussi quelques mots sur les personnages figurant au récit, ce qui est bien utile devant la richesse du casting.

Le roman s'applique à nous plonger dans l'atmosphère politique, les stratégies développées par les parties à la guerre, et c'est passionnant. de même, il aime nous décrire l'équipement vestimentaire et armé de ses protagonistes, et on le sent habité par ses personnages, insufflant bien tout une mystique autour de ces héros.

Néanmoins, une dimension cruciale m'empêche de décerner la note maximale. C'est le fait que le récit soit justement un peu psychologique et mystique, ce qui lui fait perdre autant en force immersive. On aimerait être davantage « direct live » de la confrontation, les combats sont trop peu racontés de l'intérieur, probablement avec leurs horreurs, certes, mais malheureusement c'est aussi ça la guerre, et cela fait partie de l'épopée. Cette chicherie, si j'ose dire, est assez étonnante car l'auteur est non seulement un expert livresque des arts martiaux, mais très certainement un grand pratiquant. A moins justement que cet art de la maîtrise de soi et de l'intériorisation ait pris le pas sur une expressivité qui pour ma part ne m'aurait pas déplue. On peut ajouter dans la même logique, que les dialogues sont trop rares. Les pensées sont intériorisées, comme si l'écrivain gardait sans cesse la main pour commenter les évènements au lieu de nous les faire vivre dans toute leur crudité. Ce qu'on gagne en profondeur, en érudition sur cette période trop peu explorée, on le perd en flamboyance, en rythme et dynamisme du récit. le lecteur reste en partie à l'extérieur et ne s'attache pas autant qu'il le pourrait aux personnages.
L'explication de tout cela tient très probablement au fait que le curseur, entre documentaire historique et roman, penche plus naturellement, probablement du fait du métier de l'écrivain, vers la première forme. Et vu sous cet angle, encore une fois, ce récit présente de très solides arguments.

Un grand merci à babelio qui m'a permis grâce à cet envoi masse critique d'enrichir mes connaissances historiques sur le Japon, tout en me divertissant, ainsi qu'aux éditions Budo, dont je savoure pour la deuxième fois en peu de temps, après le Hagakure, la qualité de sa production spécialisée dans la culture extrême-orientale, les arts martiaux et le développement personnel.
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