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Critique de Malaura


Révolté ! Devant tant d'injustice, devant l'enfance massacrée, brimée, niée, écrasée sous le poids des guerres, de la violence et de la tyrannie.
Les beaux yeux d'antilope du jeune Alam, le petit héros afghan d'«Opium Poppy » ne reflètent rien d'autre que cette horreur née des corps déchiquetés, des jeunes filles vitriolées, des explosions, de la peur panique de mourir, des lueurs orangées des bombes éclatant sous le ciel bistre d'Afghanistan et des crépitements des mitraillettes.

Affligé ! Quel espoir forger pour ces enfants nés du chaos ? Alam l'afghan, Diwani la Tutsie, Yuko le Kosavar ou sa soeur Poppy la junkie, et « ceux du Mali, du Togo, ceux du Pakistan, les Kurdes d'Anatolie, les réfugiés blêmes du Caucase », « ils ont tous éprouvé le désastre de vivre ». Dans le centre d'accueil parisien où ils sont hébergés, entre les cours d'alphabétisation et la sollicitude des éducateurs, peut-être pourrait-on croire qu'existe enfin pour cette poignée d'enfants, une rémission dans l'horreur, une forme de miséricorde offrant l'amnistie à leurs jeunes coeurs si maintes fois brisés ?
Mais ils ne possèdent qu'une vague existence, pour le reste du monde ils sont déjà morts, leurs yeux ont vu tellement d'atrocités, leurs corps tellement subis de violence, leurs âmes tellement acculées au Mal régnant sur la terre, qu'ils ne survivent que grâce à la violence qui couve en eux, reproduisant les geste de brutalité, d'attaque, d'assaut guerrier, qu'ils n'ont cessé d'apprendre tout au long de leurs courtes vies. La nuit est en eux.

Choqué ! Devant la violence que ces enfants subissent au quotidien! Hormis quelques rares fulgurances de bonheur brut - la contemplation des fines chevilles et des cheveux aux reflets bleus de la belle « créature de lumière» Malalaï, la conduite des « chèvres et des brebis sur l'herbette des pentes » - Alam l'Evanoui, n'a connu que la barbarie depuis son plus jeune âge. Né dans une bourgade pauvre des montagnes afghanes, il a vu les siens persécutés par les clans ennemis se disputant sans pitié le pouvoir : le gouvernement et les forces alliées, les caïds et les trafiquants de pavot, les intégristes, tous revendiquant leur suprématie à coup de kalachnikov, de pistolets-mitrailleurs, de bazookas et de grenades.
Pour survivre il lui faut être enrôlé dans un camp de terroristes extrémistes ; Alam devient alors l'enfant-soldat qui n'a peur de rien, obéissant aux ordres avec le détachement et l'indifférence de l'enfance qui en trop vue.
Grièvement blessé, il est récupéré par un organisme médical international et transféré dans un camp de réfugiés duquel il s'enfuit. Au prix d'un long périple mouvementé, de Kaboul à l'Iran, de la Turquie à la Bulgarie et à l'Italie, il arrive à gagner Paris, mais le rêve occidental peut-il être à la portée du petit taliban, ou à celui d'aucun autre enfant clandestin ?
Alam s'enfuit encore, Alam s'enfuit toujours, parcourant les rues grises et anonymes du pays des droits de l'homme. « Privé d'identité autant que de ressources, il rejoint la foule perdue » des réfugiés et atterrit dans un no man's land tenu par des dealers serbo-croates pour lesquels il redevient l'enfant-soldat qu'il n'a finalement jamais cessé d'être…

Bouleversé ! de découvrir cette « foule privée d'horizons » à la périphérie des villes, ces enfants des rues gravitant à des millions d'années lumière de notre confort bourgeois, de nos prérogatives, et si proches pourtant… indigents, clandestins, survivants de l'horreur, que l'on côtoie avec indifférence, que l'on ne veut pas voir, qu'on se refuse de voir par peur, par facilité, pour conserver cette tranquillité d'esprit qui nous tient tant à coeur.

Ebranlé ! Par la langue lyrique, poignante et imagée d'Hubert Haddad, par sa puissance narrative d'une énergie et d'une intensité qui remuent les coeurs, par ses envolées verbales pleines de transport et de ferveur et par ses phrases éminemment poétiques et lumineuses qui ouvrent l'horizon sur un ciel calciné.
Très contemporain et à la fois intemporel, un texte dur, beau, déstabilisant, dont la syntaxe métaphorique et virtuose pourrait presque éclipser la gravité du sujet, si celui-ci, universel et marqué de tragédie humaine, ne se suffisait à lui-même.
En un va-et-vient entre passé et présent, c'est toute la route de l'exil et de la souffrance qui s'affiche, et l'enfance grillée comme « les fleurs de pavots exposées au vent qui souffle depuis les plaines d'Iran. »
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