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3.61/5 (sur 1603 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Tunis , le 10/03/1947
Biographie :

Hubert Haddad est un écrivain, poète, romancier, historien d’art et essayiste français d'origine tunisienne.

Né d'un père tunisien et d'une mère d'origine algérienne, ses parents émigrent à Paris en 1950. Après des études de lettres, il publie dès vingt ans son premier recueil de poèmes. Il fonde ensuite "Le point d'être", revue littéraire, et par ce biais publie des inédits d'Antonin Artaud.

Depuis "Un rêve de glace" (1974), son premier roman, jusqu'aux interventions borgésiennes de "L'Univers" (1999), étonnant roman-dictionnaire, ou "Palestine" (2007), fiction hantée par le conflit du Proche Orient (Prix des cinq continents de la Francophonie 2008, Prix Renaudot Poche 2009 pour Palestine), ou encore "Le Peintre d'éventail", un hymne à la civilisation nippone (prix Louis Guilloux 2013, prix Océans France Ô du livre 2014), Hubert Haddad nous implique magnifiquement dans son engagement intellectuel, de poète et d'écrivain. En 2013, il obtient le grand prix de littérature de la SGDL pour l’ensemble de l'œuvre.

En 2015, avec "Mā", publié en même temps que "Corps désirable", il nous transporte de nouveau sur les sentiers du Bout-du-Monde, au Japon.
Avec "Casting sauvage", publié en 2018, Hubert Haddad scrute la ville de Paris en mouvement.

Sous le pseudonyme de Hugo Horst, il anime depuis 1983 la collection de poésie Double Hache aux éditions Bernard Dumerchez. Il publie aussi des romans noirs, avec un personnage récurrent, l'inspecteur Luce Schlomo ("Tango chinois", 1998).

Par ailleurs dramaturge et historien d'art, Hubert Haddad est aussi peintre. Il est membre du jury des Cinq Continents de la francophonie depuis 2014.

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Source : Zulma
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Entretien avec Hubert Haddad à propos de son livre Corps désirable



Cédric, le héros de votre roman, subit une opération très lourde : suite à un accident, sa tête est greffée sur le corps d’un autre. Vous êtes-vous beaucoup renseigné sur les méthodes médicales afin de rendre votre récit plus crédible ?


La presse et les revues scientifiques ont largement commenté l’événement : une équipe de chirurgiens et de neurologues italiens se prépare à transplanter la tête d’un patient atteint de tétraplégie ou d’une maladie dégénérative sur le corps sain d’un donneur en état de mort cérébrale. Dans un article publié dans la revue Surgical Neurology International, l’initiateur de cette grande première explique les extraordinaires avancées de la chirurgie transplantatoire : cette greffe d’une tête sur « le corps d’un autre » serait envisageable d’ici deux ans. On se souvient que le Dr Robert White était parvenu à transplanter une tête de singe sur un autre primate il y a un demi-siècle, mais sans parvenir à « rebrancher » leurs moelles épinières. Il y aurait désormais un outillage d’une précision à l’échelle moléculaire et des matériaux chimiques capables de remettre en phase les circuits nerveux. Et puis je me suis souvenu d’entretiens que j’avais menés pour télé-Sorbonne avec Jean Dausset, l’hématologue et immunologue qui a rendu possibles les greffes d’organes par sa découverte du complexe majeur d’histocompatibilité.




De quoi vous êtes-vous inspiré pour imaginer les sensations de Cédric après son opération ?



En fait, je ne me suis inspiré que de mon expérience immédiate, plutôt traumatique au moment de l’écrire, ainsi que d’une longue pratique de la dépossession, d’une sorte de désassujettissement expérimental. Je me suis mis en état quasi hypnotique d’empathie, moi-même en pleine épreuve alors. Ce roman tente d’appréhender une réalité inédite qui adviendra fatalement et qui bouleversera notre conception de l’humain. Mais pour rendre crédible l’aventure, il m’a fallu imaginer intensément avec mon propre corps ce qui adviendra sur un plan physico-sensible, de me représenter intimement avec toutes les conséquences physiologiques, psychologiques, sociales, amoureuses ou fantasmatiques cette métamorphose frankensteinienne. Corps désirable en cela est un roman phénoménologique.




Pensez-vous que nous devrions nous inquiéter des avancées que connaît la médecine actuellement ?



Les avancées de la médecine et plus largement de la technique participent d’une force aveugle de conquête de la maîtrise, il y a un impérialisme inéluctable de la science dans ses processus de découverte, ce qu’on appelle le progrès. Mais l’éthique ne suit pas, et toute la question du devenir humain en résulte. L’éthique n’a pas vocation à n’être qu’un contre-pouvoir, son rôle ne peut être d’empêchement, mais toute application des avancées scientifiques devrait répondre aux interrogations fondamentales sur le devenir humain. La fission de l’uranium par bombardement de neutrons devait-elle entraîner la mise au point de l’arme nucléaire ? Einstein et Marie Curie avaient-ils seulement imaginé Hiroshima ? Il y a bien sûr d’autres usages de l’énergie atomique. Mais l’absurdité absolue d’une modernité qui crée les conditions de son anéantissement laisse béante la question éthique. Tout progrès technique, certes riche en soi d’amélioration des conditions de vie, pourra servir et servira un jour l’instinct de destruction des pouvoirs en situation conflictuelle, lequel est d’une inventivité sans limites. On le voit avec la mondialisation des technologies de communication, et donc de contrôle et d’endoctrinement, lesquelles simulent une sorte de belligérance globale en préalable d’on ne sait quel basculement dans l’inconnu. Greffer une tête sur un corps n’est pas une intervention bénigne, elle implique la mort récente d’un donneur et la métamorphose obligée du receveur. Ce roman soulève les interrogations fondamentales, d’ordre éthique et existentiel, que doit se poser de manière de plus en plus décisive la chirurgie transplantatoire, si elle ne veut pas perdre les simples repères d’altruisme en dénaturant les chartes de « conformité déontologique ». Jusqu’où donc un individu aux mains de la science médicale la plus avancée gardera-t-il son intégrité de personne humaine ? Sur ce constat, plus actuel que jamais, prend corps le vieux rêve d’immortalité dans la perspective ultra-contemporaine des techno-sciences avec toutes les dérives imaginables, dès lors que dans deux, vingt ou cent ans, on autoriserait les dictateurs, les oligarques et autres Dr Folamour à perpétuer leur folie grâce à quelque élevage humain clandestin ou par l’entremise de mafias institutionnelles.




Cédric est épris d’une femme avant son accident. Êtes-vous de l’avis que l’amour puisse survivre à de grands changements physiques ?



L’amour peut succomber à cause d’une distraction et survivre aux pires tortures. J’ai tenté justement dans Corps désirable d’étudier in vivo (ou plutôt in fictio) de penser les transformations psychiques, organiques, cénesthésiques qu’implique un tel événement. C’est d’abord l’histoire d’un amour rendu physiquement impossible entre un homme et une femme. Un homme et une femme qui s’aiment, que tout rapproche, se trouvent confrontés à la plus grande violence, celle de perdre les moyens de se reconnaître l’un l’autre. Le corps a une mémoire diffuse, instinctuelle, et même une masse neuronale aux fonctions imprécises, deuxième cerveau situé au niveau cœliaque en infra-communication avec l’encéphale. Que restera-t-il d’une passion amoureuse une fois l’amant dépossédé de sa chair aimante, avec en charge une autre histoire corporelle, un autre sexe, d’autres cicatrices et tatouages ? On pourrait faire sans doute confiance à l’espace transgressif des songes, de l’imaginaire, à une forme d’instinct de survie que l’amour porte en lui comme un philtre.




Corps désirable n’est pas le premier ouvrage dans lequel vous mêlez fiction et actualité. Est-ce volontaire ? Ce flou est-il un outil littéraire que vous affectionnez pour mieux faire passer vos messages ?



La fiction est le plus précis des scalpels pour disséquer les faux-semblants mortifères de l’actualité. Par le roman on met celle-ci en perspective critique tout en captant l’attention onirique du lecteur, en l’impliquant dans les procès que l’œuvre soulève. Les chirurgiens italiens ont d’ailleurs déclarés leur incompétence en matière d’éthique devant l’inconnu qui se profile, se déchargeant de cette question sur les poètes et les philosophes. Je les ai pris au mot non par un défi de pensée, mais parce que l’interrogation sur l’identité et les limites de l’humain m’a toujours taraudé. Ainsi ai-je écrit autrefois la Cène, en 1974, à partir d’un fait divers : un avion s’écrase dans les montagnes de la cordillère des Andes, et les rescapés, isolés à quatre mille mètres d’altitude, décident pour survivre de dépecer et de manger les cadavres de leurs compagnons morts dans l’accident. Après sept semaines de cauchemar, les survivants rendus au monde défendent avec l’appui des plus hautes instances religieuses et des grands médias un choix effectué au nom du Christ, autrement dit une interprétation à la fois lyrique et intangible des actes d’anthropophagie, confondus au mystère de l’Eucharistie, en oubliant leur enfermement schizoïde et la supputation sur la mort des blessés et des plus faible. Tout comme les cannibales civilisés des Andes enfermés dans un cercle magique, nous exploitons aveuglément la planète aux détriments des plus démunis, de l’environnement et de notre propre survie. Je l’ai souvent écrit : jusqu’où l’homme reste-t-il homme à lui-même, jusqu’où son humanité résiste-t-elle à la mystérieuse monstruosité des événements ?




Cette thématique de l’identité est omniprésente dans l’ouvrage. Pourquoi avoir choisi d’y consacrer un roman ? Quel message souhaitez-vous faire passer à ce sujet ?



C’est une question cruciale, nous sommes constitués d’appartenances ancrées ou nomades et toute identité est d’abord culturelle, sur fond de barbarie insondable. L’idée de liberté, pure création humaine, demeure notre horizon de sauvegarde. La technique, elle, semble vouloir remplacer cette liberté acquise de longue lutte pour une forme d’aliénation sans recours, carcan d’idéologies et de croyances, de décervelage collectif par tous les moyens qu’offre le « meilleur des mondes ». Comment faire comprendre à tous les fanatiques de l’identité le mécanisme mimétique qui fait d’un néant préalable un clone folklorique ? Notre identité, elle, est universelle, elle n’existe que par le symbole, par le langage, par l’absence énigmatique qui s’incarne culturellement ici ou là, à travers un corps de signes et de sensations plus ou moins inhérent à son milieu. On ne peut défendre que l’altérité multiple, sachant la contingence du lieu d’où l’on parle. La transplantation totale, on l’imagine bien, met au cœur du débat toutes ces illusions identitaires, mais aussi les pactes inconscients de l’affectif, l’intégrité morale et sensible d’une personne… C’est finalement un magnifique sujet pour interroger cette extravagance du cosmos qu’est l’être humain, cohésion transitoire d’atomes arrachés aux étoiles et cherchant dans sa propre image un sens à l’univers. « Le paradoxe est la passion de la pensée », a écrit Sören Kierkegaard. Face au terrible sommeil de la doxa rationnelle envahissante, il ne faut pas craindre d’être paradoxal pour sortir des chaînes de la pensée utilitariste.




Enfin, Corps désirable constitue également une diatribe contre la mafia pharmaceutique et le douteux mélange entre enjeux économiques et médicaux. Est-ce une mise en garde contre notre système actuel ?



Quand toute une économie de profit fondée sur la santé est en jeu à l’échelle de l’humanité, on peut craindre le pire. N’importe qui peut se retrouver un jour en situation de cobaye sorti d’un cheptel. Et des populations entières, en Afrique ou en Amérique du Sud, en subissent aujourd’hui les désastres programmés.




Hubert Haddad et ses lectures :



Quel livre vous a donné envie d’écrire ?



Les Fleurs du Mal, peut-être. Ou le Le Loup des steppes, d’Hermann Hesse. J’avais quinze ans.




Quel est l’auteur qui aurait pu vous donner envie d’arrêter d’écrire (par ses qualités exceptionnelles…) ?



Je conçois qu’un sprinter puisse se décourager derrière un boulet de canon, mais en art, la précellence exalte, tout au contraire. Écrire n’est en rien une compétition. Et lire Marcel Proust ou Paul Valéry a toujours été une merveilleuse émulation.



Quelle est votre première grande découverte littéraire ?



Edgar Allan Poe traduit par Charles Baudelaire.




Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?



Pensées de Blaise Pascal, je crois, pour le style, la passion, et ce désespoir d’une pensée qui accule aux fulgurances de l’intuition.




Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?



Il y en a tant ! Disons Guerre et Paix (intégrale Volumes 1, 2 et 3), vingt fois rouvert…




Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?



Les contes de Noël Devaulx, par exemple Mémoires du perroquet Papageno, paru initialement aux éditions Dumerchez et réédité en recueil chez Gallimard.




Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?



Oserai-je dire Jean de La Fontaine ?




Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?



« Excelle, et tu vivras. » (Joseph Joubert)




Et en ce moment que lisez-vous ?



L’œuvre de mon homonyme algérien, Malek Haddad, que j’aimerais voir rééditée.



Entretien réalisé par Marie-Delphine

Découvrez Corps désirable" de Hubert Haddad aux éditions Zulma :




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VLEEL 206 Rencontre littéraire avec Hubert Haddad, L'invention du diable, Éditions Zulma

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Délectable, sur la pierre de tuffeau des façades, du pigeonnier, d'une tourelle d'angle et des balustres entre jardins et terrasse, la lumière de juillet ruisselait, teintée d'un indécidable vermeil azuré au plus intime du faux relief des ombres et sur les délicats filigranes d'horizons des collines, par-delà le feuilletage ocré des prairies. Derrière les rideaux de peupliers géants qui balancent leurs nuques songeuses et les haies vives palpitant de mille essaims d'abeilles, s'étendaient les coteaux bouclés des vignes angevines et les forêts d'où jaillissent, comme la fumée d'une charbonnerie battue par le vent, d'immenses remuées d'étourneaux et de freux.
(incipit)
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Les nuits d'hiver tombent par traitrise au milieu du jour.
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On garde si peu d'une mémoire d'homme. À peine un signe en terre. Quelques images et de rares paroles au meilleur des cas. Moins que son poids de cendre après la crémation.
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Après l'égarement du cimetière, Jan-Matheusza n'avait pu retrouver l'atelier des luthiers Zylbermine. Il avait erré en vain dans la vieille ville encombrée ; des cohortes de femmes, d'hommes et d'enfants, la plupart bien vêtus, trimbalaient des valises et des malles, halaient des carrioles surchargées de meubles, de matelas et de ballots, ou avançaient les bras ballants, hagards et dépossédés. Un peu partout, d'un secteur à l'autre, des familles entières parfois véhiculées, juchées sur un fardier attelé à quelque mule ou poussant des brouettes et des landaus, s'en allaient emménager dans les bâtisses insalubres, les boutiques abandonnées ou les pensions miteuses des quartiers d'assignation.
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L'enfer sur terre se recommandait de Dieu ! Il se dit que même le diable n'avait de prise sur la férocité des hommes.
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A force d’immobilité muette, longtemps après la dernière goutte de pluie, le jardin nocturne reprit autour d’eux sa magique présence et les amants soupirèrent, chacun dans ses pensées, tandis que le feuillage naissant des saules et des ormes frissonnait doucement sous la clarté revenue de la pleine lune. 
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Tout avait commencé par la dégradation des échanges ordinaires entre Mirlek et l'extérieur, le boycott insidieux des commerces juifs, l'interdiction faite aux enfants chrétiens de fréquenter ceux du shetl. On parlait d'émeutes ici et là, d'explosions de violence qui se polarisaient vite sur les quartiers juifs - à Przytyk déjà, trois ans plus tôt, dans les campagnes, dans les petites ou grandes cités, à Lublin, Czestochowa, Bialystok, Grodno...
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Rêvant d'être libre
l'esclave remue ses chaînes
pendant son sommeil
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Ses yeux suivirent l'élévation d'une feuille de charme ou de hêtre très haut par-dessus les toits d'ardoise et les ramures. Est-elle déjà morte ou encore vive, la feuille qui se détache de l'arbre et vole au vent ? Mais à la perdre de vue on l'oublie aussitôt, visage au ciel, seul théâtre éternel que les mortels, le regard noyé dans les nuages, n'auront cessé de contempler depuis la Genèse et pour la fin des temps.
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Le chemin grimpait maintenant entre les buissons de fusains, d'aralias et de houx, parmi des rochers d'inégales dimensions émergeant des mousses et des lichens ambrés, avec en arrière-plan des pins parasols et des cèdres nains. Il ne pouvait qu'admettre une fois de plus la souveraineté de la nature. Jardiniers et maîtres paysagers s'épuisaient en vain dans l'imitation de son aspect sauvage. Tant d'harmonies et d'heureux contrastes n'étaient pas dus au seul hasard : des millénaires d'ajustement avaient façonné ces abords jusque dans la sensibilité de générations contemplatives. Seules la foudre, les intempéries ou la dégénérescence liée à l'incurie humaine pouvaient s'attaquer au paysage. Mais une magie native remodelait vite ces espaces. La nature respirait de tous les souffles de la montagne. Son énergie calme était comme la pensée des éléments, un dialogue entre ciel et terre.
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