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Critique de Glaneurdelivres


Ah ! Ah ! Ce brave soldat Chvéïk ! Quand on se rend en Tchéquie, on voit son image à peu près partout, et combien de restaurants portent son nom ! Au fil du temps, il est devenu une icône de l'humour tchèque. Il a abandonné le livre, il vit en dehors de l'oeuvre même !

Moi qui habite au bord de la Belgique, il me fait penser au célèbre
« Manneken Pis » (« le petit homme qui pisse ») de nos amis belges, lui aussi très populaire et représenté partout, sous forme de statuettes, de magnets, etc. Il a aussi ce côté naïf, cet humour caractéristique, irrévérencieux, si cher au coeur des habitants de Bruxelles. On raconte qu'il s'agit d'un jeune garçon qui a sauvé la capitale de la débâcle. L'ennemi assiégeait la ville et voulait faire exploser ses murs épais à la poudre à canon. Heureusement, un petit garçon pris d'un besoin urgent passa par là et éteignit la mèche en urinant dessus. Ce geste redonna courage à ses troupes qui vainquirent l'ennemi !

Pour le Bruxellois, se réclamer de ce petit personnage gentiment provocant, contribue à l'élaboration d'une représentation de soi comme d'un être espiègle, moqueur, libre et doté d'un grand sens de l'humour. Je vois dans cette représentation de l'humour belge quelques similitudes avec celle de l'humour tchèque. Philippe Geluck, célèbre bédéiste, dit que « L'humour belge est unique en son genre ». Je pense que l'humour tchèque l'est tout autant, et bien spécifique lui aussi pour d'autres raisons. Les Tchèques ont toujours le mot pour rire, sûrement parce que l'histoire de leur pays est tragique. Les pérégrinations de ce brave soldat Švejk (« Chvéïk » en français) nous mènent à rire du début à la fin du roman !

Il y a dans ce livre cultissime, hautement humoristique, un sacré mélange de burlesque et d'absurde, et aussi une très savoureuse satire du militarisme !
Le brave soldat Chvéïk est sorti de la plume de Jaroslav Hašek (1883-1923) et il ne fait aucun doute que Josef Švejk (Joseph Chvéïk) ressemble en de nombreux points à son inventeur !
Hašek a créé un personnage représentatif du petit peuple tchèque mobilisé par l'armée autrichienne et exécutant les ordres avec une telle précision que leur absurdité en devient évidente, ridicule et déplorable à la fois, le roman visant la médiocrité suffocante de la bureaucratie militaire.
En 1915, Jaroslav Hašek a été lui-même enrôlé dans l'armée autrichienne et a servi dans une compagnie de fantassins. Après avoir été capturé en tant que soldat de l'armée autrichienne, il a eu à choisir entre les légions et l'armée rouge et il s'est rendu aux Russes. Engagé volontairement au service des bolcheviks, il a été fait commissaire politique dans l'armée russe. Mais avant cela, la peine de mort avait été prononcée contre lui. Difficile de comprendre ces péripéties, mais il paraît que tout était possible à l'époque en Russie ! (Et aujourd'hui ?!!)
La guerre terminée, Hašek est de retour à Prague en 1920, mais l'ambiance dans la capitale de la nouvelle Tchécoslovaquie ne lui est pas favorable. Beaucoup le condamnent pour avoir servi dans l'armée russe. Il n'hésitera pas plus tard à ridiculiser ses supérieurs dans son roman, qu'il achève en 1921, après plusieurs années de gestation, pendant ces terribles années de guerre qui ont constitué pour lui un tournant existentiel entre la vie et la mort. Il a subi l'expérience horrible de la guerre des tranchées et de la détention dans un camp où plus d'un tiers des prisonniers ont succombé à la fièvre typhoïde. Tout cela a donc abouti à la création de son fameux soldat Chvéïk.

Au début du roman, Madame Müllerová, la logeuse de Chvéïk, lui annonce l'assassinat de Ferdinand, l'archiduc héritier de l'Empire austro-hongrois à Sarajevo le 28 juin 1914.
Chvéïk lui demande d'abord de quel Ferdinand il s'agit. C'est une question qui constitue pour l'auteur une première occasion de se moquer des élites autrichiennes et de leur prétendue supériorité ! Car continue Chvéïk : « Des Ferdinand, j'en connais deux. le premier, c'est le commis de chez Průša, le droguiste, et même qu'une fois, il a bu par erreur toute une bouteille de lotion capillaire. Puis y'a aussi Ferdinand Kokoška, celui qui ramasse les crottes de chien. » Ce à quoi Madame Müllerová, pas plus étonnée que ça par la réaction de son locataire, s'empresse de préciser qu'elle parle de « l'archiduc François-Ferdinand, le gros, le calotin ». Ce tout premier dialogue donne une idée bien précise du ton indéniablement drôle de ce roman ! Mais cette annonce de l'assassinat perpétré contre l'archiduc héritier de l'Empire austro-hongrois, en plus de lancer l'histoire, met aussi en scène dès l'entame du récit, un Josef Švejk dont on ne saura ensuite jamais tout à fait, jusqu'à la dernière page du roman, si le sens de la réplique et la réflexion tiennent davantage du crétinisme, de l'idiotie, de la naïveté ou de la roublardise. Ou encore d'un sens de l'humour souvent qualifié de « Tchèque » …

Chvéïk est un personnage qui m'est apparu au début un peu complexe à cerner. Je l'ai trouvé ambigu, mystérieux… On ne sait jamais très bien où il se situe… Je me suis demandé s'il était un simple d'esprit, ou bien s'il était tout simplement naïf, s'il aimait vraiment tout le monde… ou au contraire s'il se moquait des gens…
Il est farfelu, il traverse la vie en profitant de ses bons côtés sans se faire de bile, et il semble survivre à peu près à tout ! Il évolue dans un univers de la monarchie austro-hongroise marqué par un pouvoir écrasant pour les Tchèques. Et il est envoyé au combat pour défendre un empire dont il se fiche éperdument !
Cette énorme machine qui pourrait le broyer, lui le petit fantassin, elle n'arrive pas à le briser ! Chvéïk sous son apparence de simplet abruti, s'avère être un habile et rusé résistant !

Chvéïk est un personnage unique dans la littérature mondiale. On ne sait pas vraiment s'il s'agit d'un personnage positif ou négatif. Dans toutes les situations et lors de toutes rencontres, il réagit immédiatement en racontant un tas d'anecdotes, des balivernes qui arrivent à dérouter ses interlocuteurs même les plus difficiles à tromper ! Avec son visage angélique qui affiche l'honnêteté, avec sa bonhomie et son respect permanent, son calme, il arrive facilement à embobiner même les plus réfractaires !
Non, Chvéïk n'est pas un naïf. Ce n'est pas un idiot. Au long du récit, on voit qu'il garde la raison. Chvéïk est un personnage qui démasque l'ampleur de la bêtise humaine.

Hašek était un homme « génial », il parlait le russe, le mongol, le latin et beaucoup d'autres langues encore. Dès les années 1906-1907, il s'était affirmé en tant qu'anarchiste impétueux, fondateur du Parti du lent progrès dans les limites de la loi. Sa vie faite d'excès et d'extravagance aura été courte et mouvementée, piètre mari, trafiquant de chiens, locataire d'une chambre dans un bordel de Prague et noceur invétéré ! Il a à peine 39 ans quand il décède, son amour de l'alcool finissant de l'emporter…
Avec son roman « le brave soldat Chvéïk », Jaroslav Hašek a ridiculisé les grandes idées qui ont poussé les gens à faire la guerre. Ce roman est une satire toujours très actuelle de l'autorité et de la bêtise, et il a encore énormément de choses à dire ! Il n'a pas pris une ride !
Se tourner vers « le brave soldat » devrait aider certains à prendre du recul à l'heure où l'Europe est une nouvelle fois meurtrie de manière effroyable !!!
« le brave soldat Chvéïk » est un roman incontournable de la littérature tchèque. La gloire de cette oeuvre a dépassé les frontières de la Tchéquie, avec des traductions dans pas moins de 58 langues, dont le français ! J'en recommande vivement la lecture ! C'est un délice !
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