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Critique de VincentGloeckler


Sous une couverture d'une sobre beauté, mais dont l'illustration, peut-être un peu trop naïve, pourrait annoncer de la littérature pour adolescent, avec un titre évidemment accrocheur pour qui aime lire et s'intéresse aux énigmes, La Lectrice disparue se présente comme un texte au croisement de plusieurs genres – conte, roman d'initiation, récit de science-fiction, enquête policière ? On hésite souvent et c'est tant mieux ! - et ouvert à de multiples interprétations, un roman plein d' « étrange étrangeté » et qui, en particulier, interroge avec beaucoup d'habileté l'artifice de notre rapport au monde, modifié par nos capacités de lecture et d'écriture. Edda et Einar sont, respectivement, la fille de Julia et le fils de Ragnheidur, deux jeunes femmes qui se sont retrouvées enceintes à la même époque d'un seul et même homme, et qui, surmontant leur jalousie réciproque, ont décidé de vivre ensemble à Reykjavik, partageant l'éducation des deux enfants. Un jour, Edda, devenue mère à son tour, disparait, abandonnant son mari et son bébé à peine né, sans autre explication… Einar est envoyé par sa mère Julia à sa recherche. Il découvre bientôt qu'elle s'est envolée pour New York, ville qu'il rejoint à son tour pour poursuivre son enquête. Se rappelant que sa soeur, après avoir été dans l'enfance une dévoreuse impénitente de livres, prise par cette passion qui l'isolait des autres et lui conférait une attitude proche de l'autisme, est devenue, après un traumatisme sexuel, une adolescente et une blogueuse extravertie, très différente de son personnage d'enfance et n'ouvrant plus jamais un livre, guidé aussi par le mystérieux nom de Phèdre, laissé par elle comme un indice, il découvrira dans l'impressionnante bibliothèque de la ville le début d'une piste susceptible de le mener vers Einar, une piste qui, par le détour d'une lecture d'un dialogue de Platon et l'analyse scientifique de l'évolution du cerveau humain après la découverte et le développement de l'écriture et de la lecture, l'amènera, comme le lecteur, à se demander si ces deux pratiques ne nous ont pas éloignés, pour notre malheur, de la Nature, d'une présence plus harmonieuse au monde. C'est là le coeur du livre, quand on passe de « la lectrice disparue » à… « la disparition de la lecture », ouvrant un questionnement, en écho brûlant à notre actualité, sur ce que pourrait être une humanité ayant résolument décidé de se passer d'écrire et de lire. Mais au-delà de cette dimension anthropologique, au-delà du romanesque de l'aventure, ce qui fait le charme de ce texte, c'est aussi l'alternance des points de vue, les récits du passé que font chacune des deux mères, Julia la combattante et Ragnheidur l'handicapée, réduite par un accident cérébral à vivre paralysée et muette, mais toujours d'esprit très alerte, la quête d'autonomie, aussi, du frère et de la soeur, découvrant pourtant à quel point leurs destins sont intrinsèquement liés. Avec la force d'une infinie poésie, une ensorcelante musique des mots pour évoquer justement le bienfait parfois de leur absence, comme dans ce passage final : … « nous murmurions des choses sur ce monde sans paroles où jamais ne résonnaient ni histoires ni poèmes, où jamais n'affleuraient ni lettre ni signe, où les mots n'étaient pas encore nés / petite soeur, disions-nous, et nos mains se touchaient, petit frère / c'est ainsi que nous faisions pour nous endormir ». Après les merveilleux romans d'Audur Ava Olafsdottir, Sigridur Hagalin Björnsdottir est bien une nouvelle voix forte de la littérature islandaise, à écouter d'urgence !

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