L'Affaire tequila

B-52
1 mesure de Kahlua
1 mesure de Baileys
1 mesure de Cointreau ou d’amaretto
Verser les liqueurs selon l’ordre indiqué dans un verre étroit ou un verre à tequila. Essayer de faire trois couches à l’aide d’une petite cuillère, en laissant couler les liquides très délicatement jusqu’à ce que les trois couleurs apparaissent distinctement.

-Je vais peut-être te sembler intrusif, mais c’est beaucoup d’argent que vous doit Johnny ?
-Cinq mille dollars, répondit-il aussi tranquille que s’il m’avait annoncé trois pesos.
Je m’étouffais presque avec l’un de mes glaçons.
-Il existe donc un être humain capable d’ingurgiter cinq mille dollars d’alcool.
-Eh oui, monsieur : Johnny Weissmuller.

J'étais toujours un fin limier, mi gringo, mi mexicain, dont quatre vingt dix pour cent de l'existence s'étaient évaporés en alcool et le reste en pure conneries.

J’ai ouvert la porte de son bureau sur l’entrejambe de sa secrétaire.
— Dépêche-toi de me rejoindre à Acapulco, et ne te laisse pas distraire par les dessous de ta secrétaire.
À ces mots, la jeune femme planta son regard dans le mien.
Je ne sais plus bien ce qui s’est passé ensuite, ce que je sais en revanche, c’est qu’on a entendu la gifle résonner jusque dans la rue.

On dit que le cinéma hollywoodien convoque une certaine magie. C’est cette magie qui fait voler Mary Poppins, les mouettes, corbeaux et autres désagréables plumifères dans Les Oiseaux, la même qui aide John Wayne à tirer dix balles d’un revolver qui n’en contient que six, fait passer Rock Hudson pour un type viril, Doris Day pour une vierge effarouchée et Humphrey Bogart pour un grand mec.
Tout cela relève purement et simplement de la magie. Mais quand il s’agit de maquiller quelque chose d’aussi évident qu’un camion de trois tonnes déboulant à 200 km/heure à contresens, il n’y a pas de magie qui vaille. Elle n’apparaît même pas sur la liste des invités.

— Cherris, je m’envole pour Acapulco sur la TWA, ai-je annoncé à mon ami Scott.
— Weissmuller t’attend à l’hôtel Los Flamingos. Fais en sorte que tout soit en ordre pour mon arrivée. Il m’a demandé une avance, me dit-il.
Il n’avait pas l’air content. Mais alors pas du tout.

Le scorpion tient son nom de la manière dont il est bu, à la paille, entre plusieurs convives. La paille imite la queue du scorpion, la boisson son venin. Le scorpion est une des boissons tropicales les plus réputées, inventée par Trader Vic ou Victor Bergeron, fondateur des restaurants tikis les plus connus, non seulement aux États-Unis mais un peu partout dans le monde. C’est lui qui fut à l’initiative du culte des îles polynésiennes, qui finirait par s’intégrer à la vaste culture pop mondiale. Il inventa plus de cent recettes de cocktails autour des thèmes des mers du Sud, toujours servis dans des verres au design inspiré des idoles en bois des îles du Pacifique.
Les intellectuels les plus sophistiqués se sont entichés de ses cocktails dans les années soixante-dix : Gore Vidal, Bob Fosse, Arthur Schlesinger mais aussi Stanley Kubrick, un client assidu du Trader Vic’s de New York. La légende veut même que l’idée de filmer 2001 : l’Odyssée de l’espace lui soit venue alors qu’il y savourait un de ses cocktails favoris.

Scorpion
2 mesures de rhum blanc
2 mesures de jus d’orange
1 mesure de jus de citron
1 mesure de brandy
½ mesure de sirop d’orgeat ou de crème d’amande
glace
1 tranche d’orange
1 cerise
1 gardénia

Mettre les glaçons et les ingrédients liquides dans un blender et mélanger à puissance maximale jusqu’à ce que la glace devienne frappée. Servir dans un verre bas ou en double mesure dans une large tasse décorée de la tranche d’orange, de la cerise et du gardénia. À boire à la paille au rythme du succès des Ventures en 1964, Walk, Don’t Run.

Notre artiste paysagiste continuait de copier les couleurs de ma boisson, une tequila sunrise, afin de nous offrir un splendide aperçu du soleil se posant sur la baie. Je levai mon verre pour les comparer. Le rouge de la cerise faisait concurrence à l’astre roi qui plongeait dans la mer tel un ballon oublié là par un enfant. Pas de doute, j’étais bien au paradis. Dieu l’avait installé sur un terrain acheté à crédit de la côte pacifique du Mexique. Dans la Bible il s’appelait Éden, mais de nos jours les agences de voyages le nommaient Acapulco.

Le vent frais, chargé des effluves marins si chers aux touristes et aux mouettes, emportait la fumée de mon Cohiba. Je le fumais avec une telle lenteur que je pouvais entendre le tabac se consumer. C’était une de ces journées où d’aucuns pensent que la vie vaut vraiment le coup d’être vécue. Même si pour ma part je savais qu’il ne me restait plus que vingt-quatre heures à en profiter.