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Critique de encoredunoir


Les anniversaires ont parfois du bon. Ainsi les dix ans des éditions Gallmeister qui sont l'occasion de voir réédité le premier ouvrage de la maison qui pourrait pour un peu tenir lieu de manifeste. Ce récit éclaté, composé de fragments de souvenirs de vingt-cinq ans de trappe en Alaska, allie en effet avec bonheur aventure, grands espaces et exigence littéraire. C'est avec subjectivité et recul que John Haines, artiste peintre et poète, raconte son expérience d'isolement volontaire au milieu de la nature sauvage. Ce faisant, il offre au lecteur tout ce qu'il peut attendre de ce genre de récit : rencontre avec des ours, histoires de trappeurs morts de froid ou assassinés pour avoir voulu s'imposer sur le territoire d'autres hommes, franche et virile camaraderie entre taiseux – il y a là une formidable histoire sans paroles – et longs développements sur la traque des animaux ou la meilleure manière de cuisiner le porc-épic. Mais il y a aussi, derrière la rugosité des récits qui s'enchaînent au fil des souvenirs de Haines une profonde réflexion sur la façon dont l'homme, aussi tanné soit-il par la rigueur de la nature et du climat, aussi habitué soit-il à prendre la vie pour survivre, peut s'arroger ce droit et le prix qu'il doit payer pour cela :
« La pêche et la chasse, les baies sauvages, les pièges, le bois pour le feu et la nourriture, tout cela nous est offert par ce pays. Une fourrure de martre est ravissante quand on la regarde à la lumière en la tournant pour la mettre en valeur. Et la viande d'élan est un bienfait, elle nous repaît et nous réchauffe, je n'ai pas à l'acheter chez un boucher. Mais il m'est impossible de piéger et de tuer sans pensée ni émotion, et il se peut que chaque mise à mort m'inflige à moi aussi une blessure légère, peut-être fatale. »
Surtout, dans cette quête d'isolement qui permet d'oublier le bourdonnement du monde et de se trouver seul face à soi-même il y a aussi la nécessaire rencontre avec sa propre condition de mortel. Une rencontre qui peut surgir de n'importe où pour frapper de plein fouet. Ainsi en va-t-il de la découverte, a priori banale, d'un cadavre de lapin au bord d'un sentier :
« J'étais seul sous le soleil, seul dans un champ à ciel ouvert, seul avec la mort physique, celle qu'on ne peut méconnaître.
Ce n'était pas juste cette forme immobile au bord de la route, ni le sang séché sur sa fourrure : des choses comme ça, j'en avais déjà vu. C'était autre chose – une réalité nouvelle, qui tenait aux tons bleutés, luisants, inouïs de ces entrailles débraillées, arrachées du plus profond du corps, éparpillées dans une lumière qui ne leur était pas naturelle. le regard fixe, pétrifié devant ça au grand jour, j'éprouvai, pour la première fois peut-être, une absolue solitude. Et moi qui adorais la solitude à cet âge, je sus que ça, c'était la mort, la solitude la plus radicale. »
Aussi subjectifs que soient les souvenirs de Haines, aussi déformés soient-ils par la distance des années, ils expriment toujours une vérité. Celle de l'homme qui s'est confronté durant plus de deux décennies à lui-même. Il y a là-dedans autant d'aventure, autant de chocs esthétiques quand la plume du poète Haines s'imprègne des réminiscences des couleurs telles que les a vu Haines le peintre, que de leçons de vie – et de mort. Tout cela, et les sobres mais pertinentes illustrations de Ray Bonnell qui accompagnent cette réédition, fait que l'on trouve dans Vingt-cinq ans de solitude l'essence de la littérature qu'entend promouvoir Gallmeister.

Lien : http://www.encoredunoir.com/..
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