- Ah, Salim, tu es plus futé que ça. Ce n'est pas le nombre d'années passées quelque part qui définit ton foyer. Être chez soi, ça se ressent ici, dit-elle en tapant sur la poitrine de son fils. C'est ton coeur qui sait où se trouve ta véritable place, celle qui t'appartient et à qui tu appartiens. Mais je vais te dire un secret, habibi. Il y a des gens qui ne se sentent nulle part chez eux. Quel que soit l'endroit où ils se trouvent, ils sont toujours malheureux. Ils errent d'un lieu à un autre pour essayer de trouver la paix, continua-t-elle d'une voix tremblante. Et, en général, ils finissent par retourner là où ils sont nés. C'est la pire des malédictions.
Tu viens d'une famille de menschen, lui expliquait Rebecca en utilisant le mot yiddish qui désignait les gens droits et intègres.
L'arbre de Salim donnait des fruits depuis un an. Mais son père ne lui en avait pas laissé en cueillir lors de la dernière récolte afin de lui apprendre à obéir. Les cultivateurs d'oranges plantent des arbres à la naissance de leur fils, disaient les fellahins. Les fruits ne deviennent sucrés que lorsque les garçons sont prêts à devenir des hommes.
C'est peut-être pour cela que tu es si petit, pensa tristement Salim en caressant l'écorce. Il n'avait que trois ans de moins que l'oranger d'Hassan, et pourtant il n'atteignait même pas la moitié de sa taille. L'arbre s'inclinait vers l'ouest, en direction de coucher du soleil, ses branches semblables à des mains escaladant le mur pour s'échapper.
e ne m’attends pas à ce que tu me pardonnes ni que tu me comprennes. Dès le départ, tu as toujours été la fille bien. La conciliatrice.
Mais tout devient clair, maintenant que je suis ici et que je la vois, que je la vois en vrai, Sophie, après l’avoir imaginée toutes ces années. Elle est exactement comme sur la photo. Blanche. Aussi blanche que la craie. Il y a des arbres derrière le portail et, partout, de la terre dorée.
Je devrais la haïr, n’est-ce pas ? Mais elle est si belle, là toute seule. Et paisible, comme dans un rêve. Comme dans les films familiaux que nous tournions dans le désert, lorsque nous étions enfants. Te souviens-tu ? Des images sans le son. Et nous riions en agitant la main, et lui nous encourageait derrière la caméra. Ce furent les seuls moments où nous ne faisions pas semblant, où nous étions presque une vraie famille.
La maison des Al-Ishmalei était connue sous le nom de beit Al-Shamati, la maison aux Orangers.
Qu’est-ce qui est juste, dans cette vie? dit-elle à voix basse. Même Dieu est injuste. Il n’y a que les imbéciles pour affirmer le contraire. Mais tu apprendras, Salim. Si un homme veut quelque chose, il doit trouver sa propre voie pour l’obtenir.
-Je n’ai jamais rencontré d’Arabes, dit-elle. (…) Pour être franche, je pensais que vous deviez nous haïr.
-Qui dit que je dois faire quelque chose ? Tu es une personne. Je suis une personne. Pourquoi devrais-je te haïr avant même de te connaitre ?
Elle se demanda alors à quoi ressemblerait la vie si tout le monde agissait à l'unisson en cet instant précis -si personne n'avait à se sentir différent.