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Critique de Nicolas9


Cet écrivain et poète genevois vous est probablement totalement inconnu. Et ça n'est pas étonnant puisque, loin des fastes du " monde littéraire parisien ", il a sciemment décidé de pratiquer son art à Genève, la ville où pour lui tout a commencé. Pas idéal pour " réussir une carrière " vous en conviendrez.

Pourtant, cet écrivain atypique né en 1917 n'éprouve aucune difficulté à se mettre à nu, à dévoiler sans fard les côtés sombres et tourmentés de sa vie intellectuelle et c'est là tout l'intérêt de son oeuvre.

En effet, il a publié durant plus de trente ans son journal intime, jour par jour, année après année. Ces " Carnets de l'état de poésie " sont ainsi un moyen extraordinaire de pénétrer dans le cerveau d'un écrivain qui " ne se la raconte pas ". J'ai le plaisir de vous présenter ici le premier carnet écrit en 1973.

Haldas commence par y décrire avec force détails, mais sans jamais être ennuyeux, ce qu'on peut ressentir lorsqu'on est en " état de poésie ". Bien que cette description soit fondamentale pour comprendre cet auteur hors-norme, inutile de vouloir la résumer in extenso ici. Par contre, on peut en donner quelques indices.

Tout d'abord, cet état se manifeste par une extrême sensibilité, par exemple au temps qu'il fait. On se sent connecté au monde, en harmonie totale avec lui et le temps (chronos) semble s'être arrêté dans la mesure où il ne joue plus aucun rôle...

Les choses les plus banales, un rayon de soleil sur un toit, un couple de personnes âgées qui traversent la rue, le vendeur de journaux, les flaques d'eau sur le trottoir après une averse, tout semble sublimé. C'est comme si on s'apercevait soudain de la beauté du monde. Georges Haldas appelle ce phénomène " le principe de transfiguration ".

La posture que l'écrivain adopte dans ses Carnets est celle de témoin ultrasensible du monde qui l'entoure. Avec la particularité de s'intéresser avant tout aux banalités du quotidien qu'il décrit avec une éblouissante bienveillance et dans les moindres détails :

" Vous sortez un matin de chez vous. Il a plu durant la nuit. Mais le ciel, à présent, est découvert. Vous faites, comme d'habitude, quelques pas dans la rue. Et soudain, sans raison apparente vous vous sentez investi d'un bonheur sans nom. Quasi absolu. Un bonheur où il entre, à la fois, de l'élan et du repos, de l'allégresse et de la sérénité, une pleine conscience en même temps que l'oubli de soi ; et qui vous donne, en cette minute, le sentiment d'être totalement présent et à vous-même et au monde. Non plus d'exister seulement, mais de vivre - enfin ! ".

Mais, ce qui pour moi fait tout l'intérêt de ce journal intime, c'est la sincérité poussée à l'extrême d'un homme qui préfère l'authenticité à la renommée, témoigner et partager plutôt que briller. Ce qu'on ressent en le lisant est beaucoup trop complexe et subtil pour être simplement traduit avec des mots... Mais, je dois passer par là pour faire connaître un auteur méconnu loin des rives du lac Léman.

Pour Georges Haldas, " le poète ne révèle rien. Il prépare seulement les autres à avoir une révélation, leur révélation. Il les met en condition pour qu'une telle révélation se produise. La poésie ne fait que dissoudre ou aider à dissoudre l'obstacle. Ce qui empêchait la relation fondamentale ; qui reste l'affaire de chacun. Elle réclame de lui une véritable création. Que nul ne peut faire à sa place. "

Et, c'est peut-être lorsque l'écrivain genevois s'adresse à lui-même qu'il est le plus nourrissant pour l'âme du lecteur. Comment est-ce possible me direz-vous ? Eh bien c'est dû au fait qu'il ne parle que de ce qu'il y a d'universel en lui. Son but est de partager avec le lecteur des sentiments, des émotions voire des douleurs que chacun peut ressentir un jour. le " je " en l'occurrence est à interpréter comme un " on ". En voici quelques exemples (il y en a encore des dizaines d'autres que j'aurais pu reproduire ici) :

" Ta différence d'avec les autres est ton privilège, à la fois, et ta malédiction. Accepte-la comme telle. Et va au bout de ton destin. Tu y trouveras, de toute façon, autre chose que ce que tu crains ou espères. "

Ou encore : " Nul n'est assuré de réussir danse ce qu'on appelle les sacrifices. Qui peuvent se retourner contre nous. Car il en en va du sacrifice comme de tout acte vital : il faut qu'il soit inspiré, non voulu ; spontané, non décidé. Faute de quoi, au lieu de la fécondité, c'est l'autodestruction. "

D'ailleurs, preuve de son côté iconoclaste, ce fils d'immigrant grec n'hésite pas de temps à autre à égratigner son pays d'adoption : " J'écris dans un état d'urgence qui m'angoisse au-dessus de tout. Et cela dans le petit pays le plus placide du monde. le plus étranger au tourment, à la passion, à la recherche désespérée de l'Homme. Petit pays positif, content de lui ; équilibré (à voir) et se méfiant instinctivement de tout ce qui sort de sa gestion - et digestion - ordinaires. "

En fait, ce qui fait la noblesse de ce " scribe " comme il aimait à se qualifier lui-même, c'est qu'il ne revendique rien ; il veut juste partager ce qu'il ressent sans essayer de s'installer dans une posture avantageuse, au contraire. En effet, et c'est en quelque sorte le fil rouge de son oeuvre, il estime que : " C'est par leurs faiblesses que les êtres sont émouvants. Et par une innocence parfois cachée en eux. C'est ce point-là qu'il faut rencontrer, si on veut atteindre ce que l'homme a de meilleur. Et que tout conspire, dans notre société, et dans la forme de culture qui lui est liée, à dissimuler. "

En un mot, ETRE au lieu de PARAITRE. Une revendication à contre-courant de notre société de l'image à tout prix, véhiculée par les médias soi-disant sociaux...
Lien : https://www.payot.ch/fr/doss..
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