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Critique de RChris


Immergez-vous d'abord, en 1767, en Gambie, dans le village de Djouffouré, au sein de la tribu des Mandingues, là où le temps se compte en pluies et en lunes et là où naît Kounta, premier enfant d'Omoro.
Vous suivrez les différents rites qui jalonnent la vie du “premier né” jusqu'à son entrée dans le monde des adultes. Sa vie n'est pas sans souci mais paraît sereine... jusqu'à l'enlèvement de Kounta pour une croisière qui n'aura rien de touristique au vu des conditions de voyage, aux fers, au fond de la cale du bateau, pour “traverser la grande eau”.
L'inventaire du navire qui le transportait comptait à l'arrivée 3265 “dents d'éléphants”, 3700 livres de cire d'abeille, 800 livres de coton brut, 32 onces d'or de Gambie et 98 nègres ; “quarante-deux Africains étaient morts pendant la traversée, soit près d'un tiers de sa cargaison de “bois d'ébéne”.”

Ce livre est dense, tout est vie et action quels que soient les lieux et les périodes.
On vivra ensuite auprès de Kounta, dans le sud des Etats-Unis.
Sa volonté de “s'ensauver” va se muer en servilité à l'égard des maîtres quand il se verra mutilé du pied.

Il essayera pourtant de transmettre des bribes de ses “Racines” africaines et de conserver sa culture natale dans un monde hostile qui s'étiole car “chassée” par les blancs et contrariée par sa femme qui la considérait “non intégrative”.

On voit aussi comment, l'interdit d'apprendre à lire et à écrire (les blancs craignant la révolte des noirs), obligeait la plupart des esclaves à écouter en cachette les propos des maîtres pour relever des bribes d'informations concernant la guerre de sécession ou l'abolition de l'esclavage.
Leur ambition suprême était de se racheter pour être “ ‘mancipés ”.
Mais même libres, une loi de Caroline du Nord prescrivait que “les noirs émancipés ne peuvent demeurer plus de soixante jours dans l'Etat ; après ce délai, ils doivent redevenir esclaves.”

Le récit est sans concession sur la vie des esclaves dont l'angoisse permanente est celle d'être vendus à vils prix et séparés : une adolescente susceptible de porter un enfant valait 400 dollars, une bonne cuisinière de 1200 à 1500, un forgeron expérimenté de 2500 à 3000, un travailleur des champs 900.

D'autres générations vont suivre avec l'enfant couleur café au lait né de sa fille violée par le maître blanc.
Ces enfants qui portaient le nom du maître en signe d'appartenance, puis, après l'abolition de l'esclavage, nous accompagnerons la famille jusqu'à la naissance à la septième génération, celle de l'auteur Alex Haley.
Celui- ci est l'arrière-arrière-arrière-arrière petit fils de Kounta Kinté.

Le langage “p'tit nég'” est parfois fastidieux (effet de la traduction?). Peut-être qu'un jour une nouvelle version proposera des modifications comme dans la récente traduction d'”Autant en emporte le vent”où le “r” remplacé par une apostrophe a été réintroduit ainsi : “”C'est-y la bonne de vot' enfant ? Ma'ame Sca'lett, elle et t'op jeune pou' s'occuper du fils de Missié Cha'les!” devient “ C'est la nurse de vot' enfant ? Ma'ame Scarlett, l'est trop jeune pour s'occuper du seul bébé de m'sieu Charles!”

Ce livre a obtenu le prix Pulitzer en 1977. S'agit-il d'une reconstitution généalogique historique ou d'un roman ?
En anglais, Alex Haley parle de “faction” de “fact” (fait) et “fiction”.
L'auteur nous dit : “Il est une question que l'on me posait généralement : “Quelle part y-a-t'il de réel dans “Racines”, et quelle part d'inventé ?” Eh bien toute la lignée décrite est telle que la tradition orale de mes familles africaines et américaines en a préservé l'histoire - histoire corroborée par de nombreux documents que j'ai pu retrouver.
Quant à la texture de “Racines”, elle procède d'innombrables recherches sur les moeurs et coutumes, les cultures, les modes de vie indigènes. Pour réunir tout ce matériel, j'ai fouillé une cinquantaine de bibliothèques, de dépôts d'archives et autres hauts lieux de la conservation pendant des années et sur trois continents.”

L'authenticité de cette histoire a été contestée, qui plus est, l'écrivain a été condamné pour plagiat d'un livre intitulé ”L'Africain”.
Pourtant, il demeure pour moi un formidable roman sur l'origine de la ségrégation du peuple noir américain.

Bien sûr, ces malversations, dont je n'aurais pas eu connaissance si je n'avais pas fait de recherches sur le livre, auraient mérité une dégradation de la note, mais j'ai été captivé (mot mal venu !) par ce travail qui n'a pas d'équivalent pour moi.
Je ne bouderai donc pas l'intérêt de ce voyage d'autant que je l'ai lu dans une édition rébarbative (Alta) à en décourager la lecture ou à déclencher l'achat compulsif d'une tablette.

Je souscris au souhait émis dans l'excipit pour que ce livre qui vous fera partager l'incompréhension, la détresse, la révolte, le déracinement des esclaves… “contribue à rendre un peu moins pesant le fait que l'Histoire, le plus généralement, est écrite par les vainqueurs.”
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