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Critique de audelagandre


« Plus grands que le monde » est de ces textes qui vous touchent dès les premières pages par cette volonté farouche incarnée par Doris, la mère, de mettre sa famille à l'abri de monde. le roman raconte l'histoire de la famille Senter. Doris et Tup sont propriétaires d'une ferme laitière dans le Maine. Ils ont trois enfants : Sonny, Dodie, et Beston. Dans le récit qui s'étend sur une vingtaine d'années (de 1947 à 1965), plusieurs voix prennent la parole pour exprimer le quotidien de la famille, le travail à la ferme, mais surtout leurs émotions.

Le personnage principal de « Plus grands que le monde » est cette ferme. Elle exige tous les sacrifices, mais donne aussi toutes les joies. le travail quotidien y est difficile, exigeant, et souvent pénible, mais il permet à la famille Senter de vivre dans un lieu exceptionnel où la nature et les saisons sont respectées, et où, en son sein, ils se sentent protégés. Cette terre si chère au peuple américain offre toutes les bontés, toutes les satisfactions à condition d'en prendre soin. Alors, elle devient mère nourricière et mère protectrice. « La ferme est un rempart, c'est ce que j'apprends à mes enfants. Ce monde, puis le monde extérieur. Nous sommes en sécurité sur cette terre, dans cette maison. Une fois le savoir acquis, impossible de le désapprendre ou de se détourner de ses fardeaux. Mais ici, il est possible de trouver de l'ordre, ainsi que la liberté d'aimer farouchement tout ce que nous connaissons. »

Très tôt, Doris a la certitude que vivre loin des autres, mettre à l'abri du monde les siens participe au bonheur du foyer. « Ici, nous sommes à l'écart du monde et menons nos vies à notre guise. ». Plus les enfants grandissent, plus il est difficile de laisser quiconque pénétrer leur cercle intime, comme si, un étranger était en capacité de déranger l'ordre établi et le cours des choses. A contrario, Tup est conscient que malgré le devoir de protection que sa femme s'est fixé comme mission, leurs enfants doivent grandir en ouvrant les clôtures de la ferme et en vivant leurs propres expériences. « Impossible de lui faire entendre raison. Elle ne veut pas croire que nos enfants peuvent grandir et devenir forts sans qu'elle ait pour cela à garder notre foyer à l'abri du monde. »

« Plus grands que le monde » raconte cette vie-cocon, les lentes percées vers l'extérieur, et le dehors qui pousse doucement les barrières de la ferme. C'est un roman d'ambiance, lent, qui raconte une routine, une famille, une ferme, et la façon dont on s'y aime… Profondément. Éperdument. Il y a d'abord l'amour profond que se vouent Doris et Tup et dont les enfants ont une conscience aiguë. « Ils s'aiment, m'étais-je dit. Ils t'aiment. Ici, l'amour ne manque pas. ». Puis, il y a l'amour fraternel qui lie ces deux frères et cette soeur, que rien ne saurait briser. Dans ce lieu où coule une rivière, où les hululements des hiboux rythment les saisons et les nuits, l'amour est au centre de tout.

Jusqu'au drame qui va frapper cette famille et faire voler en éclats leurs certitudes, leurs habitudes, leurs convictions en faisant chavirer jusqu'à leur foi. Il y a eu un « Avant », et un « Pendant », parcelles du roman qui commencent par des versets bibliques. Il y aura un « Après » et un « Ici » où la foi sera remplacée par des vers de poésie. Quatre parties distinctes pour parler de cinq membres d'une famille, de leur alliance qui glisse vers des sommes d'individualités. Trois voix s'élèvent : celle de Doris, de Tup et de Dodie.

« Plus grands que le monde » se focalise sur les répercussions d'une collision qui vient frapper des êtres brisés qui vont devoir se reconstruire. Tel le travail à la ferme, le fardeau de la douleur est lourd à porter. Pour certains il est si écrasant qu'il ne peut être soulevé. Une famille c'est une ossature composée de plusieurs humanités qui ne vivent pas tous les choses de la même manière, qui agissent et réagissent de manière parfois totalement opposée. Dans la peine, il est parfois impossible de consoler l'autre, impossible de lui venir en aide, impossible même de le comprendre tout à fait. Certains choisissent des chemins de traverse, d'autres des enfermements, d'autres encore des fuites. Comment guérir de cette souffrance extrême ? Où puiser les ressources nécessaires lorsque la ferme bénie devient la ferme maudite ? Comment retrouver le « Chaque journée est un cadeau » ?

Meredith Hall décortique les itinéraires de chacun afin que ces êtres « Plus grands que le monde », âmes brisées, puissent se ressouder et continuer à être une famille. de prison interne au souffle du dehors, de l'angoisse des jours qui passent aux nuits où la nature reprend ses droits, elle amène le lecteur à entrer en empathie avec ces personnages que la vie n'a pas épargnés pour les mener de la nuit profonde à une autre lumière. « Autrefois, nous nous étions crus inattaquable, à toute épreuve, immuables. » Aujourd'hui, il faut pardonner les douleurs du passé pour renaître et parvenir à ressentir à nouveau cette vie qui palpite.

« Plus grands que le monde » est un récit intime et intimiste, un voyage intérieur où les douleurs des personnages deviennent les nôtres. Loin de juger les actes de chaque membre de cette famille, le lecteur ressent une profonde tendresse pour chacun d'entre eux et comprend dans son coeur cette culpabilité qui les étreint pour laisser place à la bienveillance, la bonté, « Beneficence », le titre choisi pour la version originale. C'est également un texte sur les valeurs et les leçons de vie que les parents laissent à leurs enfants et la façon dont ceux-ci les reçoivent, ce qu'ils en font une fois adultes, et comment ils les utilisent pour se construire. « J'enseigne à mes enfants que nous sommes responsables de tout ce que nous faisons et ne faisons pas ». L'imperfection des êtres fait jaillir toute leur humanité en mettant toujours au centre des existences ce questionnement : suis-je une belle personne ? Un combat intérieur qui nous anime tous. En utilisant plusieurs voix, sur plusieurs années, Meredith Hall explore avec beaucoup de finesse les conséquences du drame sur des vies en devenir.

« Plus grands que le monde » est une bénédiction pour qui cherche à appréhender le pardon envers soi, envers les autres. Dans l'opacité de la douleur subsiste toujours une flamme qui palpite… Un roman profondément lumineux qui éclaire ce à quoi nous tenons le plus dans la vie.

Traduction : Laurence Richard
Lien : https://aude-bouquine.com/20..
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