— Elles ne peuvent pas êtres jugées coupables, c’est impensable. Elles n’ont aucun témoignage extérieur. C’est la parole des unes contre celle des autres.
— D’aucuns ont fini à l’échafaud pour moins que cela. Pensez-vous qu’elles côtoient effectivement le Diable ?
J’ai pensé à la Tour de Malkin qui jaillissait de la lande comme une main surgie d’une tombe ; au souffle de ce vent inépuisable qui devait rendre fou. J’ai songé à la maison qu’habitait Alice, avec son toit déchiré sur le ciel ; l’humidité qui suintait des murs [...].
— Si le Diable est la pauvreté, la faim et la détresse, alors oui, je pense qu’elles côtoient le Diable.
— [...] Les femmes qui ne survivent pas… c’est uniquement quand on ne peut plus rien pour elles. Cela se voit tout de suite.
J’ai avalé ma salive.
— Comment ?
Après un temps de réflexion, Alice Grey a répondu :
— Dans leur regard. Il s’abîme… dans l’au-delà. Vous voyez l’heure entre chien et loup ?
J’ai hoché la tête en signe d’acquiescement, même si je me demandais quel pouvait bien être le rapport entre le crépuscule et l’accouchement.
— La lumière et l’obscurité sont des forces égales – des partenaires, si vous préférez – et il y a un instant, furtif et silencieux, quand on voit le jour céder à la nuit. C’est à ce moment-là que je sais. C’est ainsi.
À l’entendre on aurait dit une sorcière, mais je me suis gardée de le lui dire.
Être une femme est le plus grand risque qui soit.
Les lois sont comme les toiles d’araignées ; les petites mouches s’y prennent, les grosses passent au travers.
Le roi ne défend pas la cause des femmes qui cherchent à s'en sortir tant bien que mal en ce bas monde ; que ce soit en venant en aide à leurs semblables, en repoussant la maladie ou en tentant d'assurer la survie de leurs enfants.
Prudence et justice, devise de la famille Shuttleworth
Elle est sage-femme, comme sa mère avant elle. Êtes-vous comme le roi, à penser que toutes les guérisseuses, les indigentes et les sages-femmes exécutent l’œuvre du diable? Ma foi, ce doit être le principal employeur de tout le comté du Lancashire!
Les femmes qui concevaient un enfant portaient en elles la vie et la mort ; telle était la réalité de notre destin. Me mettre à espérer et prier pour ne pas succomber en couches était à peu près aussi utile que de croire aux fables et légendes.
— Vas-tu rester et me tuer ? ai-je demandé en posant les yeux sur mon ventre. Ou me laisseras-tu la vie sauve ? Pouvons-nous tâcher de vivre ensemble ?
Je me suis souvenue des mots d’Alice : j’ai peur des mensonges. Je comprenais ce qu’elle voulait dire, à présent : les mensonges avaient le pouvoir de détruire des vies, mais aussi d’en créer d’autres, comme en attestait le ventre de Judith qui poussait sur un tissu de mensonges.
Il n'y a pas vraiment de différence entre être fille ou épouse. La seule chose qui change, c'est l'homme qui donne les ordres.