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Critique de Cannetille


Fasciné depuis l'enfance par les planches des ouvrages animaliers anciens, l'auteur a décidé de retracer la dernière expédition du grand naturaliste franco-américain Jean-Jacques Audubon : parti de Saint-Louis en 1843 avec pour guide le célèbre trappeur québécois Etienne Provost, le peintre ornithologue s'était lancé dans deux mille kilomètres de remontée du Missouri en bateau à aube, jusqu'à Fort Union qui, pendant quelques mois, lui servit de camp de base pour une gigantesque partie de chasse aux allures de massacre. Cent-soixante-quinze ans plus tard, alors qu'il nous relate cette aventure survenue dans des espaces alors encore préservés, Louis Hamelin entreprend lui aussi, mais en avion, le voyage jusque dans le haut Missouri : si les derricks de l'exploitation du pétrole de schiste ont remplacé les bisons, c'est toujours la même gloutonnerie humaine qui continue à dévaster ces terres…


L'aventure est au rendez-vous de ce récit, puisque remonter le Missouri à l'époque n'est pas une sinécure et qu'avec tous ses dangers, c'est une terre quasi inconnue qui s'ouvre aux visiteurs non-Amérindiens. L'Histoire que nous relate avec authenticité Louis Hamelin ne prête toutefois guère à rêver, car qui dit naturaliste au XIXe siècle ne doit pas penser ami de la faune et de son habitat, mais plutôt touriste bâfreur lâché sur le buffet des desserts : tout ce petit monde débarque en ce qui ressemble à une terre d'Eden tant les espèces y pullulent, pour y faire main basse et tuer sans vergogne, dans un répugnant carnage le plus souvent gratuit :
"Et les coups de feu qui visaient tous ces oiseaux étaient encore plus nombreux. Presque constamment environné d'un essaim de balles et de petits plombs, le vapeur était une forteresse flottante assiégée par la vie sauvage, pareille à un gros ruminant s'avançant sur le fleuve au milieu d'un nuage de moustiques. le capitaine Sire avait raison : on se serait cru à Fort Alamo."
Nul n'a alors en tête qu'aucun puits n'est sans fond et qu'à force de jouer à la nuée de sauterelles, plus grand chose ne subsistera bientôt, ni des lieux - mises à part quelques zones protégées -, ni de leurs populations autochtones, hommes ou bêtes.


"Tout le monde connaît le fameux proverbe navajo, peut-être apocryphe, qui dit que nos actes doivent être évalués à l'aune des sept prochaines générations. Ça correspondait à peu près au temps écoulé depuis la dernière expédition d'Audubon. le legs de sa génération, je l'avais sous les yeux."
Le constat est aussi amer qu'à frémir pour l'auteur qui revient sur les lieux moins de deux siècles plus tard : la grande prairie d'Audubon n'est plus qu'un lointain souvenir, remplacé par un décor d'enfer né de l'exploitation des schistes bitumeux. Pourtant désormais conscient des désastres et des destructions déjà irréversiblement commis, l'homme poursuit en connaissance de cause son grignotage de termite à l'encontre de la planète, gageant l'environnement et l'avenir de sa propre espèce contre une poignée de dollars, comme Faust avait vendu son âme au diable.


Epoustouflant récit d'une aventure historique qui fit partie de la conquête de l'Ouest américain, ce livre doux-amer, qui vient superbement rejoindre les rangs du nature-writing, est aussi une saisissante mise en perspective des radicaux impacts environnementaux de la cupidité humaine. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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