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Critique de claudialucia


Un Roman historique
Avec La mort en Arabie, Torkild Hansen écrit un livre magnifique et prenant, roman historique comme le révèle sous-titre Une expédition danoise 1761_1767,
La Mort en Arabie commence par la vision d'une barque sortant de la rade de Copenhague le 4 Janvier 1761 et transportant cinq hommes vers un vaisseau de ligne le Gronland. C'est le départ d'un voyage d'études commandité par le roi du Danemark Frédérick V, en direction de l'Arabie Heureuse. Nous apprendrons que le pays ainsi nommé est le Yemen alors terre inconnue et quelle est l'origine de ce nom. L'on ne peut que constater, en regard de ce qui est arrivé aux membres de l'expédition, l'ironie tragique de cette appellation puisque quatre d'entre eux ne reviendront pas.
Un retour en arrière nous permet de voir les préparatifs et les buts de l'expédition et faire connaissance de ses membres. Deux sont danois, deux allemands et le cinquième suédois.
Frédéric Christian von Haven est philologue : il est attiré par l'argent mais espère que l'expédition ne partira jamais; on s'apercevra bien vite qu'il se révèle incompétent, veule et paresseux. Il n'accomplira jamais ce que l'on attend de lui. Non seulement il ne servira pas l'expédition mais on peut dire qu'il introduit la dissension dans le groupe.
Peter Forsskal, suédois, physicien et botaniste : ses prétentions, la haute opinion qu'il a de lui-même, le rendent antipathique mais il est réellement compétent et même brillant. C'est un bourreau de travail.
Carsten Nieburhr mathématicien et astronome allemand : d'origine modeste, il n'est pas professeur comme les précédents et est en grande partie autodidacte. Travailleur consciencieux et scrupuleux, passionné par son métier, curieux de tout, il dresse des cartes des pays qui ont fait autorité pendant les siècles qui vont suivre.
Christian Carl Kramer, médecin et astronome est un personnage sans envergure, assez falot, qui n'apportera pas grand chose à l'expédition.
Georg Wilhelm Bahrenfeld, peintre et graveur a exécuté des dessins très précis de lieux archéologiques et des scènes croquant la population.

La mission a pour but d'identifier la faune et la flore citées dans la Bible, élaborer une carte topographique du Yemen, comprendre le cycle des marées lors de l'Exode des Hébreux et analyser les modes de vie des Arabes et des Juifs. Elle durera sept ans et Frédéric V mourra entre temps.
L'expédition gagnera le Yemen en passant par Marseille, Constantinople, l'Egypte, la mer Rouge avant d'arriver à Mocha, Sanaa et le seul survivant reviendra au Danemark via la Perse, après avoir fait une escale en Inde.

Des personnages romanesques

Le récit de l'expédition est d'abord une étude psychologique qui faite revivre des personnes qui ont réellement existé comme s'il s'agissait de héros romanesques tout en s'appuyant sur une analyse poussée de leurs motivations, leur caractère, leurs faiblesses et leurs qualités à partir de documents, de lettres, de témoignages, et de leurs journaux. Nous éprouvons donc de l'antipathie pour certains ou, au contraire, et nous nous attachons à certains d'entre eux. Carsten Nieburhr, en particulier, est une beau personnage. Quant à ses aventures, elles sont dignes de la fiction la plus folle, il va même disparaître pendant six mois, se fondre dans le paysage, adopter les vêtements, les coutumes, la langue des autochtones, changer de nom pour survivre dans ces contrées.
Avec ce voyage en Arabie nous explorons toutes les facettes des travers humains, lâcheté, couardise, orgueil, soif du pouvoir, cupidité, colère, jalousie, paresse mais aussi la capacité de certains hommes à transcender l'impossible, courage et détermination, soif de savoir, curiosité intellectuelle, intelligence et ingéniosité, attachement au devoir et à l'honneur.

Récit d'aventures et recherche scientifique

Nous lisons et ce n'est pas le moins passionnant, un roman d'aventures plein d'aléas et de dangers. En mer Méditerranée le navire est sur le point d'être arraisonné par des bateaux anglais, ils évitent de justesse le combat ; plus tard, les savants se rendent compte que la cargaison transportée est humaine, ce sont des femmes qui vont être vendues dans les sérails égyptiens, une idylle naît entre Niebuhr et l'une de ces jeunes prisonnières comme dans un roman de Pierre Loti ! A Alexandrie ils sont pris à partie par la population qui voit dans l'astrolabe de Niebuhr un instrument de destruction,plus loin des voleurs sont lynchés devant eux par la foule en furie. Parfois la réalité semble dépasser l'imagination, von Haven les menace d'empoisonnement à l'arsenic. Ils remontent le Nil, parviennent au Caire, traversent le désert avec une caravane en direction de Suez. Ce n'est qu'au prix de bien d'efforts et de peines, la maladie s'abat sur eux, la mort s'invite, qu'ils parviendront en Arabie Heureuse ou leurs souffrances ne feront que s'accentuer et où la mort s'abattra!
Et pendant tout ce voyage les infatigables Niebuhr et Forsskal ne s'arrêtent que terrassés par la maladie. Niebuhr cartographie avec une rare précision les pays qu'il traverse, mesure la hauteur des pyramides, note les coutumes des populations comme un vrai ethnologue, étudie et recopie les hiéroglyphes, témoignages des vestiges archéologiques :

Jour après jour, il recueille de nouvelles pièces pour ce grand jeu de construction qui deviendra enfin la carte du Yemen, un travail de pionnier qui, pendant plus d'un siècle, sera la base de toutes les explorations européennes de ce lointain pays.

tandis que Forskall part à la recherche d'arbres et de fleurs rares, constitue d'immenses collections, étudie les animaux, analyse les marées de la mer Rouge, cherche à comprendre des phénomènes physiques comme la luminescence des algues. Il est en relation avec diverses universités européennes et fait parvenir des collections de plantes au Danemark. Cette quête scientifique nous permet donc de découvrir de nombreux pays tels qu'ils étaient au XVIII siècle.

Une réflexion philosophique

Le roman est aussi une réflexion philosophique car le voyage se révèle vite être une marche vers la mort puisqu'un seul des cinq explorateurs reviendra du voyage. L'échec de l'expédition rend d'autant plus tragique le destin de ces hommes. En effet, si Niebruhr qui ne cherchait ni les honneurs ni la richesse a eu la satisfaction de voir son travail reconnu, Pehr Forskall dont on peu dire que sa vie était dévouée à la science jusqu'à sa fin n'a pas eu cette chance. Les immenses collections expédiées tout au long de sa mission finiront par pourrir dans des caisses au fond d'un musée, réduisant à néant des années de travail acharné. Quant aux dessins de Bahrenfeld, ils ont brûlé dans un incendie. Il y aurait dans cette fatalité qui s'est attachée à ces hommes et dans l'absurdité de leur mort in utile de quoi désespérer et effectivement l'on se sent le coeur étreint.

Pourtant il y a une grandeur dans ces hommes qui force l'admiration et qui fait naître l'espérance. C'est ce que note Thorkild Hansen. Au milieu de la préparation affolée d'un combat naval, des canons pointés sur son navire, Carsten Niebuhr observe la course de Vénus devant le soleil :

Si le monde subsiste encore, l'une des causes en est peut-être qu'il se présente toujours même dans les moments les plus dramatiques quelqu'un qui dirige impassiblement son regard d'un autre côté… Sur quelques signes tracés dans le sable… Sur quelques pignons de la ville de Delft… Ainsi, à bord d'un bateau où les canons s'apprêtent à délivrer leurs arguments de vie et de mort, un homme se plonge tout entier dans l'observation du passage de Vénus. Comment ne pas trouver dans cette image une sorte de consolation ? Nous qui cherchons à suivre Niebuhr et ses compagnons dans une histoire vieille de deux siècles, alors que des rampes de lancement sont prêtes à tirer bien d'autres projectiles. Nous aussi nous voulons observer ces évènements lointains avec autant d'exactitude que possible, mais la main tenant l'astrolabe tremble un peu….

Thorkild Hansen se révèle un grand écrivain en portant le récit historique d'une expédition scientifique au niveau du mythe. Son livre est pour moi un coup de coeur.

Lien : https://claudialucia-malibra..
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