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Citations sur Le versant féroce de la joie (9)

Courir le rendait heureux, à tout le moins le soulageait, et épargnait aux autres son agitation infernale et son despotisme. Courir, dans la merveilleuse odeur des feuilles, dans les exhalaisons d’écorce. Briser les petites branches sur le sentier, sentir glisser son pied sur la boue quand la pente se fait plus forte. Le plaisir des premiers essoufflements qui font trembler la voix dans le martèlement irréversible de la foulée. Le danger joyeux du rire qui risque de ralentir la course. Se sentir emporté en avant, aspiré par le vide qu’on crée devant soi. Sentir la chaleur de son visage épouser la fraîcheur des brumes, et ses cheveux coller aux tempes. Les nuances des labours, l’immensité de la Flandre. Apercevoir de fines haleines à sang chaud monter du sol, d’entre les taillis morts. Bombés, les chemins pavés. Le revers des maisons, et leurs petites cours qu’on ne voit autrement que du train. Trébucher, le regard perdu dans les glèbes molles ou les ornières gelées, sur toutes les surprises et les brusqueries malicieuses du paysage, qui désagrégèrent les petites meutes de coureurs et en dissipent la chaleur organique. Les bifurcations qu’il ne faut pas manquer, où le chemin s’engouffre sous les arbres et oblige à courir l’un derrière l’autre. L’allure qui se tend, le pouls qui s’étrangle et se fait bruyant. Ne pas céder sa place, s’imposer du coude, en riant puis sans rire. N’accorder de larmes qu’à la vitesse et à l’air froid.
À la bouche, le gout ferreux du sang.
Toute mélancolie bue, le versant féroce de la joie.
Le sentiment époumoné de sa supériorité.

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Il devait compter avec les spécialistes qu’il admirait plus ou moins et qui attiraient une lumière qu’il estimait déjà lui revenir. Ballerini, Bortolami, Tafi et, entre tous, Museeuw, belge comme lui mais flahute pur souche. Le Lion des Flandres. Le gros Johan, à la voix fluette et aux fesses puissantes. Le moment n’était pas encore venu où, un soir d’excitation, ils chieraient, Nico et lui, dans le bidet du Lion ayant déserté sa chambre pour un joli cul (et encore, joli c’est pas sûr, Vdb disait « le Lion fait feu de tout fion »).

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Chez Lotto, Jean-Luc croyait encore en la valeur de sa science propre, de son expérience ; aux soins qui se transmettent de père en fils, ceux que les bleus reçoivent des anciens ; quand et combien de cortisone pour qu’elle ne bloque pas les muscles, combien et à quel moment précis les amphètes pour les débloquer, déboucher les gicleurs.

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Au dernier jour des longues courses, une petite goutte de tristesse venait parfois se diluer dans le soulagement d'en avoir fini. La fatigue n'est jamais pure, elle comporte ce soupçon de bile qui teinte la joie des aboutissements, la peur du silence qui suit les activités intenses. Les lundis matin sont souvent difficiles pour les coureurs. On a passé plusieurs semaines dans l'agitation et le bruit, on s'est jeté à l'assaut des pentes dans la foule fournaise, on traversé avec les autres d'interminables paysages striés par la pluie silencieuse, on s'est engouffré à pleine vitesse dans l'ombre menaçante des tunnels de montagne et des sous-bois, entre les barrières métalliques de la dernière ligne droite, et puis plus rien. Lundi, à la maison, la solitude et ses acouphènes. Chez les parents lorsqu'on est jeune, puis chez soi. Une épouse qui a manqué, mais dont ni la voix ni l'étreinte ne comble l'incomblable.
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Oui, tu peux rester toute ta vie au conditionnel, c'est très pratique, vous comprenez ? Tu peux dire, ah ! si j'avais pris de l'EPO comme les autres, et continuer à te raconter ton histoire, à n'avoir aucun résultat et te prendre pour un champion en puissance. C'est comme rester sur le bord du terrain et critiquer le jeu, c'est trop facile, non ?
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Il psalmodia son effort, s'efforça à ne rient voir, à ne pas ralentir, à écarter la peur de l'agonie et, oui, à s'approcher du gouffre. De longues minutes il ouvrit la bouche, cherchant à aspirer la ligne d'arrivée promise, qui finirait par surgir à la vue s'il voyait encore ; de longues minutes il vécu sous vide. En sortit joyeux : qu'est-ce que je me suis fait mal ! Les copains, vous n'imaginez pas. En sortit vainqueur, une nouvelle fois : son cœur avait reculé d'un pas vers l'intérieur de ses propres frontières, ses muscles s'étaient courbés au passage de son courage inflexible. Pas mort. Mais passé si près. Il passerait plus près encore la fois suivante. VdB savait à quoi il jouait.
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L'obstination de leur volonté était un danger pour leur unité psychique, elle retournait leur âme comme une peau sanguinolente. Muscles et sentiments, pesanteur terrestre et souvenirs traumatiques, asphyxie et mélancolie se dressaient sur leur route et se confondaient dans la douleur. Leurs visages nus portaient la trace de cette passion. Mais celui de Tchmil dégueulait les démons de l'effort. Ce serait au prix de ces hideurs momentanées qu'il gagnerait Paris-Roubaix.
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Pas un objet du quotidien n'échappait au grand imaginaire du cyclisme qui, comme toute religion, met la vie en exercice jusque dans ses recoins les plus intimes. Manger, dormir ou déféquer, mais toujours comme un coureur. Autour de la table, invariablement chargée de la maigre opulence qui s'incarne en muscle pur - céréales, pâtes, chair blanche de volailles et de poisson, eaux gazeuses -, les conversations ne concernaient parfois que la nourriture. Manger et le dire. Se nourrir en évoquant l'esprit de la nourriture, porter en paroles le monde à sa bouche. Que devait-il faire disparaître dans l'obscurité vertigineuse des entrailles pour s'éveiller plus fort chaque matin, et marcher vers ce glorieux avenir dont personne ne le laissait jamais douter ?
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Il faut être aveugle une première fois pour commencer à se constituer des souvenirs.
...
D'aucauns grandissent en s'arrachant dans les grimaces au sol de leur enfance. Mais son passé à lui était impondérable, rien ne pesait au fond de ses talons, il était aspiré par l'âge et vers le haut.
...
Il savait qu'il avait tout pour être heureux , mais il ne l'était pas. Mais alors, putain, pas du tout, voyez vous.
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