Il traverse des fumées épaisses et colorées dans les cris et le hurlement des klaxons à air comprimé. Il a beau se retrancher dans l’intimité de ses propres gémissements, de sa respiration sifflante et de la violence de son pouls, tous ces culs nus qui courent et tremblotent à ses côtés, ces perruques secouées et ces bouches éructantes, c’est comme toutes les fêtes quand tu n’es pas d’humeur : ça ressemble à l’enfer. Il pédale dans un tableau de Jérôme Bosch.
Il avait forcément déjà cet air qu’il est commode de dire rêveur, ces yeux ronds dont on ne sait s’ils ne s’étonnent de rien ou s’ils s’affolent de tout.
Le buste et les yeux tendus vers l’écran et les coureurs, il s’était projeté dans la peau de celui-là qui, fermant la marche du groupe de tête, doit vigiler à toutes les petites tensions de son corps pour espérer suivre. Celui qui, si près de sa limite, pédale comme sur du verre brisé et que la moindre démangeaison menace du naufrage. Le désespéré qui s’accroche.
Il entend encore moins que l’an passé, retranché plus profondément dans les seuls bruits de ses organes. Ses mains tremblent et ses pieds frottent un peu plus fort sur le sol quand il se déplace.
Il n’est devenu coureur qu’à force de fugues et de hasards. Pour imiter quelques copains ou quelque aîné qu’on allait applaudir en famille. Les courses de village et sa jouissance ont fait le reste. Adolescent, plus d’une fois il s’est évanoui tout sourire sur les lignes d’arrivée, tant il ne voulait pas perdre, et tant il n’était question qu’il ralentît. Mais jamais l’idée de sa souffrance et de « sa capacité à endurer la douleur » ne lui serait venue à l‘esprit avant qu’on la lui souffle.