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Critique de GeraldineB


Prendre le temps, le temps de voir, de sentir, d'aimer. Alors que la vie s'accélère et coule entre nos doigts, prendre le temps de se sentir pleinement vivant. S'offrir de beaux moments suspendus et faire son miel avec des petits riens. C'est à cet art de vivre qu'André Hardellet nous invite. le poète aimait profiter de la vie, ayant très tôt compris que prendre son temps n'est pas le perdre, bien au contraire, c'est vivre en grand. La soixantaine passée, le voilà qui butine ses souvenirs, évoquant pour nous les doux parfums du jardin de l'enfance ou les regards insolents des belles de Ménilmontant. C'est une flânerie nostalgique et poétique qu'il convient de lire lentement, cela va sans dire, en prenant tout son temps.

Regroupés en un même volume chez L'Imaginaire Gallimard, ces deux courts essais, "Donnez-moi le temps" et "La promenade imaginaire" furent publiés en 1973 et 1974. Or, ce n'est qu'après avoir terminé ma lecture, que j'ai réalisé que 1974 était l'année où André Hardellet était mort, à seulement 63 ans. Voici donc ses deux derniers essais. Même sans le savoir, j'ai été émue à la lecture de ces deux textes que l'on pourrait qualifier de "testament littéraire". Oserais-je conseiller de lire d'autres écrits de cet auteur avant de lire cette autobiographie? Sans doute... Mais, après tout, on pourrait aussi imaginer la démarche inverse, ces deux essais nous livrant de précieuses clefs de compréhension. Car toute la magie de l'oeuvre d'André Hardellet est ici, dans ces quelques 120 pages. On y retrouve ce ton espiègle et spontané propre au poète, cette écriture fluide qui semble jaillir si naturellement. Bien qu'à l'automne de sa vie, l'homme a su garder un naturel et une fraîcheur d'esprit qui m'ont charmée. Pourtant, cette aptitude à jouir de chaque instant ne fut pas toujours évidente. Avec gravité et profondeur, André Hardellet évoque ainsi les doutes qui l'ont assailli au fil des années. 

"Que me manquait-il donc? Je n'aurais su le dire exactement, mais je crois bien aujourd'hui que je discernais ce qui avait pris congé de moi tandis que s'écoulaient les années: des yeux naturellement émerveillés, une sensibilité intacte. Je cachais cette atteinte comme un mal honteux et n'en disais rien..."

Mais cette douleur profonde, celle de la perte de l'innocence, le deuil qu'il faut faire de sa jeunesse enfuie, André Hardellet a su les sublimer par l'écriture.

"Chacun lutte comme il peut contre l'angoisse de la mort et la solitude; tracer des mots pour les écarter ne constitue pas l'un des plus mauvais moyens inventés par l'homme."

Ainsi, de cet automne de la vie où les épaules commencent à se voûter sous le poids des absents et des regrets, Hardellet aura su faire un nouveau printemps, par le seul pouvoir d'un regard toujours renouvelé. Il nous prend par la main, tels des enfants, et nous chuchote à l'oreille sa recette du bonheur:

"Laissez-vous aller, abandonnez vos habitudes en col dur. L'air du large, allez le respirer au coin de cette rue qui devient à l'instant route forestière ou grève. À Paris? Mais oui, à deux pas de chez vous, entre des pierres que vous avez longées mille fois sans deviner qu'elles pouvaient se métamorphoser sous votre regard."

Simplicité et générosité sont les maîtres mots pour définir ces essais. Mais n'était-ce pas déjà les ingrédients utilisés pour écrire "Lourdes, lentes"? Je devine à quel point l'auteur a dû souffrir au moment de la parution de son récit. Incompréhension et défiance ont accueilli son livre qui se voulait pourtant sans malice, n'offrant que sa sincérité et une poésie à l'état brut. 
Alors oui, lire et relire Hardellet, ces deux essais comme tout le reste de son oeuvre et regarder la vie comme il la regardait. Peut-être plus tout à fait avec des yeux d'enfant mais avec une infinie tendresse pour l'enfant que nous fûmes. 


 
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