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Critique de Krout


Krout
18 décembre 2018
Il est des romans qui commencent sur un coup du sort quand, après avoir acheté en librairie « le bonheur est dans le crime », un architecte tombe en panne vers minuit au bord d'un mur longeant une vaste propriété pour, par la suite, découvrir peu à peu son état de décrépitude, ses habitants et familiers. Celle-ci s'avèrera s'appeler la Diguière, seul lieu d'hébergement à la ronde. Mais le hasard existe-t-il ?

Une connaissance à qui j'ai offert l'autobiographie d'Irvin Yalom, car elle-même fait partie des psy-quelque-chose, m'a conseillé en retour de découvrir un ou l'autre des romans d'une psychanalyste belge, Jacqueline Harpman. J'avais le choix, parcourant rapidement ses titres sur notre site, je reconnus immédiatement Magritte en couverture d'En toute impunité. Or, j'aime beaucoup Magritte et L' empire des lumières. Alors qu'il fait plein jour, seuls quelques blancs nuages ornent un ciel inhabituellement bleu pour notre petit pays, rien en apparence ne peut expliquer cette pénombre recouvrant la maison et ses abords au point de nécessiter éclairage à l'extérieur comme à l'intérieur.

Surréalisme typiquement belge ou lumineux appel magrittien à nous pencher sur les sombres secrets que cachent à toute heure les grosses maisons bourgeoises ? Quels pourraient-ils bien être, pour étendre ainsi leur noirceur, hormis ces lourds secrets de famille conduisant aux névroses intergénérationnelles ? La maison et sa maisonnée, un cercle aussi clos que les volets du rez-de-chaussée ? M'enfin, si rien qu'avec la couverture je savais déjà tout cela (juste ! j'avais vu le tableau auparavant, j'avoue), pourquoi emprunter celui-là ? le titre évidemment, annonciateur d'un policier psychologique : pour une fois le coupable devrait s'en tirer, d'où une curiosité à assouvir sans modération en toute impunité.

L'écriture aime à se rouler par moments dans un parfait usage d'anciens subjonctifs, en une étonnante simplicité et d'une telle élégance qu'elle procure la sensation au lecteur de pouvoir indéfiniment surfer sur la poudreuse alors qu'il dévale dans les profondeurs de l'âme humaine sans vraiment en prendre pleinement conscience. Un talent rare dans la manière de croquer la psychologie d'un personnage "Elle était issue d'une vieille famille bourgeoise pourvue depuis des générations et trouvait tout naturel de dépenser l'argent de son mari. [...] Elle considérait que sa tâche était de recevoir et de régler la vie mondaine de son mari, et son devoir d'être élégante, ainsi que lui avait montré sa mère."p.225-226, ou "Madeleine avait dit : Elles sont la Diguière. C'était sans doute encore plus exact que Je suis une la Diguière."p.237… de même pour les tensions qu'un comportement peut engendrer "- Il est tellement généreux qu'il va nous étouffer de gratitude"p.224 [...] "Il ne concevait pas que l'on pût avoir des désirs différents des siens"p.227. Jusqu'au conflit, jusqu'au meurtre.

Je serais bien indigne de ne pas mentionner l'humour, attention pas gras comme le papier d'un cornet de frites après usage. Non, non, non. Un humour à la belge, fin et finaud, flirtant avec l'ironie et j'allais dire naturellement (ah cette gentillesse innée à prêter à tous, par amour du partage, nos qualités spécifiques) allez fieu je corrige : et chez nous l'autodérision. "j'ouvris mon Barbey d'Aurevilly. Je compris dès les premières lignes que je ne serais pas en compagnie de Hauteclaire et Savigny : quel usurpateur sans vergogne s'était permis de s'approprier le titre de ce chef-d'oeuvre pour sa consommation personnelle ?" p.18 Bon, comprend qui peut car j'avoue mon manque total de culture, n'allez pas me demander qui cache Orlanda par exemple, je n'ai pas lu Virginia Wolf. Souvent dans les conversations je finis par me cacher derrière le rideau, cramoisi.
Certain(e)s auront tout de suite compris que si « elles sont la Diguière », elles sont aussi « les Diaboliques ». Ce clin d'oeil ne serait néanmoins que de peu d'intérêt, s'il était gratuit. Cependant : fin et finaud, ai-je dit. Méfiez-vous du titre ! Voilà l'avertissement.

"Il y a peut-être des coupables sans remords, on nous le cache pour nous faire peur et nous tenir dans le droit chemin, la petite tache qui terrifie Lady Macbeth est un effet littéraire et Raskolnikov avait la tête mangée par la névrose. le sentiment de son bon droit soutient le terroriste, il recommence, aucun démon ne lui montre l'enfer et ses feux, qui ne sont promis qu'à ses victimes."p.271
Le hasard existe-il quand je viens de terminer Maudit soit Dostoïevski, autre roman s'interrogeant sur le bien et le mal, la culpabilité ? Pas de misérabilisme chez Harpman et, comme chez Magritte : quelle profondeur parée d'humour et de légèreté !

Quant à mon esprit disruptif il s'est délecté en appliquant une grille de lecture systémique (observant principalement les interactions dans cette famille singulière ici et maintenant) sur ce roman qui recherche le comment et le pourquoi en sondant le passé et l'histoire de cette maison de la grande bourgeoisie dont le mimétisme des comportements sur la noblesse conduit à des alliances contre nature pour déboucher sur un crime des plus fourbes.
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