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Critique de Apoapo


"Aucun analyste ne peut s'autoriser, sous aucun angle, à parler du normal... de l'anormal non plus d'ailleurs [...] Au nom de quoi l'analyste parlerait-il d'un norme quelconque ? Sinon, permettez-moi la plaisanterie, d'une malnorme, d'une norme mâle." [Jacques Lacan (cit. p. 47)]

Jusqu'à cette lecture, étrangement et sans doute superficiellement, j'avais toujours envisagé le genre comme une question sociologique et/ou anthropologique. Dans cet essai il est traité sous un angle psychanalytique, donc individuel, dans la modification du psychisme, sub specie d'identité individuelle sexuée, et aussi comme objet (usurpé par) des psys. L'auteur se pare de sa double casquette de psychanalyste et de thérapeute familial lorsqu'il parle clinique. Et la perspective se complexifie, naturellement.

Car c'est d'abord un (très court) demi-siècle de profonde mutation dans la famille, par laquelle les hommes et les femmes refusent désormais de s'incarner dans des fonctions (notamment parentales) préétablies, qui provoque et précipite les interrogations sur le genre ; ces interrogations "dépasse[nt] amplement les revendications des communautés homosexuelles".
Cette mutation, qui se traduit dans de multiples formes de parentalité, est peut-être la cause du "Des-Ordre des Choses", du "Changement de matrice" et de la "Grande Peur" qui provoque frilosités et phobies, même voire surtout dans le milieu analytique : ("Les psys, nouveaux papes de l'ordre établi").
Les fondations freudiennes de la sexuation, quand à elles, contiennent tout ce qu'il peut y avoir de plus progressiste et ouvert - lorsqu'il est question du genre dans l'inconscient - en même temps que l'archaïsme le plus réactionnaire et sexiste, issu sans doute du même air du temps (fin XIXe) et du contexte psychiatrique qui avait placé l'homosexualité parmi les pathologies mentales (cf. Richard Freiherr von Krafft-Ebing, Psychopatia sexualis, 1886). On peut donc faire dire à Freud tout et son contraire.

Ces deux prémisses étant posées, ainsi que l'urgence d'appréhender un Nouvel Ordre qui tienne compte des mutations et soit le moins excluant et discriminant et le plus égalitaire possible, si l'on part de l'évolution psychique du bébé, force est de constater que la compréhension du genre précède celle du sexe (sans parler de la sexualité). Il est question, au départ, d'une bisexualité psychique, et plus tard, tout au long de la vie, d'un continuum entre éléments masculins et éléments féminins dans le psychisme de l'individu.
Et là, on se croirait à proximité des théories queer : à ceci près que les queers invoquent ce continuum au sujet du sexe biologique (notamment en invoquant ce 1,7% de nouveaux-nés dont le sexe anatomique n'est pas absolument patent), alors qu'il est ici question de genre, de masculinité et féminité "fluidement" acceptées ou refusées par l'individu pour soi-même dans son "corps-esprit", dans une conflictualité des "uns contre les unes" qui aboutit à un mélange personnel qui a pour mots d'ordre : "liberté, singularité, fluidité". Il n'empêche que l'auteur considère le "sexe des (étr)anges" comme une source d'inspiration, dans la mesure où l'excentré illumine parfois la globalité.

Ce petit livre est très dense, pourtant très accessible. Il se lit comme un long discours oral, avec des circularités qui ne sont pas tout à fait des redites, dans une prose élégante, imagée et précise dont les bons psychanalystes ont le secret (n'en déplaise à qui ne les aime pas...).

(J'ai beaucoup aimé le fil rouge diachronique reliant Emma et sa bonne société victorienne, à Emma-nuel, qui pourrait être son arrière-petit-fils actuel.)
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