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Critique de HordeDuContrevent


Laissez-moi vous parler avant toute chose du livre, de l'objet j'entends. le contenant avant le contenu. Il mérite en effet que nous nous y arrêtions. Ce livre est beau, presque sensuel avec ses bords arrondis, ses pages douces, sa couverture chocolat veloutée en remake leather… Pas étonnant, il est publié aux Editions Toussaint Louverture que j'affectionne tout particulièrement. Mon livre est unique, j'ai le numéro 3090 sur les 5000 exemplaires tirés. Numérotation manuelle, rien que ça. Je le découvre sur la toute dernière page du livre qui comporte également ces mots : « La leçon de W.C Heinz est que les perdants en savent plus sur la vie que les autres ». le ton est donné. Ce livre se veut fruit de l'artisanat, un livre de grande qualité qui interpelle grandement avant même de plonger dedans.

Vous me direz, qu'importe le flacon, pourvu qu'il y ait l'ivresse. Il se trouve que dans notre cas, le contenant reflète le contenu. La qualité du livre signale celle du récit dans sa forme et surtout dans son fonds. Ce livre a en effet pour sujet la persévérance, l'abnégation, la façon de peaufiner et de perfectionner peu à peu son art. Cet art étant ici la boxe mais l'auteur évoque tout au long du livre différentes formes d'art pour lesquelles l'abnégation, la persévérance, le travail régulier sont de mises, la chance étant un ingrédient secondaire. le thème principal du livre est donc la qualité exigée par tout art, et donc plus particulièrement la boxe. J'ai beaucoup aimé ces parallèles avec d'autres arts.

« Lorsqu'un gamin décide de devenir boxeur et quand, quelque part, il se pointe dans une salle, sac à la main, il est comme un bloc de marbre tout droit sorti d'une carrière, un bloc de la taille d'un homme. Un tailleur de pierres peut voir beaucoup de choses dans le marbre brut, mais le sculpteur n'en voit qu'une. Pour lui, il n'y a pas deux blocs identiques, et ce qu'il voit, c'est ce que le bloc est destiné à devenir, et c'est ainsi qu'est née la Victoire de Samothrace ».

Dans les années 50, aux Etats-Unis, nous suivons de près Eddie, boxeur professionnel qui se prépare pour les championnats du monde catégorie poids moyen, suivi de près par son manager le Doc et son entraineur Jay. C'est un combat décisif pour sa carrière. Nous lisons les propos de Franck, journaliste sportif, qui désire écrire un article sur Eddie et qui est ainsi autorisé à être présent durant toute la préparation, stage de plusieurs semaines ayant lieu dans un hôtel au bord d'un lac. Là, un ensemble de boxeurs, de managers, d'entraineurs sont réunis. Franck entre vraiment dans l'intimité de cette communauté de sportifs, dans l'intimité d'Eddie. Il est présent lors des entrainements, des conversations, des disputes, des repas, des balades. Il est présent sans être obnubilé par son article, il désire réellement avant toute chose comprendre, sentir et avec lui nous comprenons…

« Un boxeur est un monstre. Il va passer dix ans dans le milieu le plus dur au monde, un milieu qui va lui siphonner chaque gramme de sa force et chaque seconde de sa vie. Il n'y a pas un geste qui ne va pas avoir d'impact sur sa boxe. Il est pas peintre en bâtiment, pas avocat, pas écrivain. Il a pas trente ou quarante devant lui. Il doit tout donner maintenant, ou jamais ».

Nous comprenons ce que cela a couté et ce que cela coute d'atteindre un tel niveau. Ce que cela coute en termes d'années de travail pour un combat, ce combat. La préparation physique quotidienne. La pression psychologique, le dosage subtil entre l'excitation et contrôle de soi. Les sacrifices sur le plan familial. Nous comprenons ce que cela coute de manager de tels sportifs en termes d'intuition, de foi, de discipline à inculquer. Heinz, lui-même journaliste, est conscient que « Quel que soit le métier, personne ne comprend. A moins de faire la même chose, personne ne saisit jamais comment ça se passe vraiment », pourtant nous parvenons au fil des pages à comprendre cet univers. Et à l'aimer même lorsque, de prime abord, ce milieu ne nous intéresse pas spécialement.

La prose est étonnante et m'a quelque peu déroutée. Énormément de dialogues, courts, âpres, tranchants. Sans fioritures, sans graisse.Une prose qui claque. Et par moment, lorsque les pensées s'évadent, que les silences s'installent, des passages d'une grande beauté. Des effluves de sueur s'échappent des pages, des odeurs de vestiaires, d'adrénaline, qui se mêlent à cette prose virile quelque peu déstabilisante. Qui s'entrelacent également avec une certaine poésie, mélange permettant de mettre en valeur les personnages, de cerner leurs personnalités, leurs valeurs, de saisir l'ambiance et même les paysages. Oui, c'est une véritable atmosphère qui se dégage de ces lignes, une poésie brute.

« L'avenue était sale et sombre. Il était à peine neuf heures et demi d'un matin gris chargé des signes d'un printemps précoce, dans la rosée sur les ordures des caniveaux et dans les traces de boue présentes sur les taches d'huile du macadam des stations-service, des ateliers de réparation et des carrossiers ».

Et nous nous prenons à attendre le combat final, à espérer, à alterner entre craintes et confiance, avec eux. La chute s'avère être magistrale et inoubliable !

Un immense merci à Bookycooky qui m'a donné envie de découvrir ce chef-d'oeuvre, chef d'oeuvre publié en 1958 aux Etats-Unis sous le titre « The Professional » et publié en français en 2019 aux Éditions Monsieur Toussaint Louverture.
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