Paris est un gigantesque Truman Show, et nous ne sommes qu'une poignée à nous en rendre compte.
Personne ne viendra me secourir. Je ne sais pas si j’ai laissé passer ma chance ou si l’époque condamne une partie d’entre nous à une vie sans enfants ou sans compagnon. Ou les deux. Ce qui est sûr, c’est que je ne peux compter que sur moi-même : si je veux me sortir de l’ornière au fond de laquelle les années m’ont poussée, je vais devoir être créative.
Le monde est rarement blanc ou noir, et trop souvent d'un gris un peu sale.
Chacun écrit sa propre vie, mais l'encre n'est-elle pas déjà teintée à la naissance ?
Légalement, cet enfant serait le sien, même sans relation sexuelle, même si Corentin ne le reconnaissait pas, quels que soient nos arrangements, écrits ou non. Jusqu’à sa majorité, je pourrais initier une action en reconnaissance de paternité ; au-delà, cette option serait accessible à l’enfant lui-même.
Le meilleur moyen d’éviter les problèmes, c’est de les fuir ou de les contourner. Le trio ne m’aurait sans doute pas adressé la parole, mais pourquoi courir le risque ? Et j’ai compté plus d’une dizaine de caméras sur le trajet. J’ai plus besoin de discrétion que de flatter mon ego en me débarrassant de trois assaillants en moins d’une minute.
L’héritage génétique de mon aïeule mélanésienne s’est mêlé à mes origines celtes pour m’offrir un teint hâlé et des pommettes saillantes. Comme mon reflet distille un halo de mélancolie, j’aligne mes épaules et prends une pose de trois quarts, le menton baissé et les yeux relevés, puis je déclenche un sourire lumineux.
À quoi bon se retourner pour voir le visage pathétique de celui qui l’a émis ? C’est un jeu où il n’y a rien à gagner et tout à perdre, surtout si l’homme n’est pas seul.Et je n’ai pas le temps.
Je n’ai vu qu’en photo cette jolie Basque, de douze ans sa cadette. Corentin me l’a décrite comme une femme brillante au caractère bien trempé. Ils n’ont pas d’enfants pour l’instant : l’horloge biologique d’Elorri leur laisse encore plusieurs années de répit, ou le loisir de choisir une autre vie.
J’ai peur que l’éducation que je donnerai à mon enfant ne soit pas de taille face au raz-de-marée génétique.