- Dans les rêves, c’est toujours mieux.
- Non, les rêves sont des palais à fantômes dans lesquels on ne cherche qu’à attraper le vent.
C’était le chien qui le réveillait le matin pour sortir, qui lui rappelait la nécessité de se nourrir, qui l’obligeait à garder un pied minimal dans le monde extérieur. Le chien était son horloge, sa prise de terre, sa porte. Félix accomplissait ces tâches mécaniquement, sans y prêter réellement attention, sans prendre conscience, si ce n’est de façon vaguement souterraine, que s’occuper du petit animal était devenu sa raison d’être, qu’avoir la responsabilité d’un autre être vivant était ce qui le maintenait en vie lui-même.
Les mêmes choses, selon le côté de l’existence où l’on se trouve, peuvent s’avérer des compagnes bienveillantes ou d’implacables démons. Une peinture, une paire de lunettes, un chausson mal rangé peuvent nous ramener parmi les vivants, ou nous pousser dans la tombe.
[...] facile de reprocher aux autres de ne pas s’engager, tant que l’on n’a pas mesuré soi-même le risque colossal que cela implique, et ce que l’on s’expose à y perdre. S’engager avec une seule personne, dans une seule histoire, c’est courir le risque que cela finisse mal, que tout s’arrête. Changer de vie régulièrement, c’est déjouer le sort, partir avant la fin du film, pour ne pas voir le moment où les choses tournent au désastre. Mais peut-être que les choses ne tournent pas forcément au désastre ?
On peut s’habituer à vivre avec n’importe quelle malédiction, tant que personne ne vient nous rappeler que les autres n’en souffrent pas.
Au moment du pont qui précède le dernier refrain, tandis qu'ils passaient à proximité du château d'eau, Félix fit une brusque embardée pour éviter un obstacle sur la chaussée. Il n'eut pas le temps de voir ce que c'était. Il n'eut pas le temps non plus de voir arriver l'arbre que la voiture percuta de plein fouet.
En raison de la gravité de l'accident, son séjour à l'hôpital se prolongea, ce qui lui fût désagréable, au début. Le premiers jours, Ambre était à la morgue, au rez-de-chaussée. Le médecin ne l'avait mentionné qu'une seule fois, et quand Félix avait refusé d'aller la voir, n'avait pas insisté. Mais même s'il n'osait pas s'y rendre dans la journée, ses rêves l'emportaient le soir venu. Il passait ainsi souvent la nuit au milieu de cadavres, rangés dans leurs tiroirs, à s'acharner sur une porte de sortie qui ne s'ouvrait pas, évidemment. Dans l'un de ces tiroirs tout autour de lui, se trouvait le corps mutilé d'Ambre, et il semblait condamné à passer le restant de ses jours dans ce macabre réduit. À son réveil, trempé de sueur, il était presque heureux de se retrouver dans sa chambre, où il serrait dans ses bras le petit chien endormi.