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Critique de EvathCebor


Tintin est né trois fois.

Il est d'abord né chez les Soviets. Tintin était alors un petit personnage bagarreur, hautin, ingrat, d'humeur massacreuse (au sens littéral), qui vivotait d'une case à l'autre sans autre but que de mettre le boxon en pays étranger, que ce soit en Russie, au Congo ou en Amérique. Tintin était alors une bande dessinée sans conséquence, sans intérêt, sans Aventure, une simple collection de sanyètes plus ou moins drôles où les pages de gauche n'avaient en commun avec leurs voisines de droite que de se dérouler au même endroit. Des gags, souvent de mauvais goût, dans des parcs à thèmes. Superficiel, stérile, ennuyeux. Et inutilement violents.

Puis Tintin est né une deuxième fois. Avec les Cigares du Pharaon, Tintin devenait enfin Tintin, ce jeune homme doux mais courageux, juste, aimable. Presque l'opposé de son étrange et agaçant jumeau qui n'en faisait qu'à sa tête chez les Soviets. Surtout, Tintin devenait enfin une bande dessinée structurée par un récit cohérent, avec un mystère à résoudre, un objectif à atteindre, une galerie de personnages hauts en couleurs que l'on retrouvera encore et encore d'un voyage à l'autre ; Tintin devenait enfin l'Aventure majuscule qu'il voulait être. Chaque album était une nouvelle promesse, une nouvelle confiserie à dépaqueter soigneusement avec envie comme on en tournait la couverture après l'avoir longuement considérée. Que ce soit à la poursuite de l'Oreille Cassée ou du Sceptre d'Ottokar, à Shangaï ou sur l'île Noire, Tintin était devenu Tintin, sans en être tout à fait rendu là où sa trajectoire le destinait. Chaque album nous remplissait la mémoire et l'imaginaire d'endroits, de symboles, de créatures, de rires, de péripéties que l'on n'oublierait pas ; chaque album avait des moments franchement drôles, d'autres angoissants, des idées géniales, des cases qui nous marqueront longtemps. Hélas, Hergé semblait encore batailler pour atteindre son fichu quota de 62 pages, alors il cédait au remplissage bête et méchant, étirait certaines séquences plus que de raison, rajoutait des gags inutiles et hors de propos là où le récit le suppliait d'avancer ; ou alors il se pressait de finir quand il aurait fallu ralentir et profiter de cette aventure longuement méritée. Il faut dire que tout reposait sur les seules frêles épaules de Tintin, et un peu celles de Milou, qui ne sont pas plus épaisses. le récit souffrait à chaque fois d'un même et sérieux problème de rythme. Un coup l'aventure tardait à se mettre en place, un coup elle arrivait trop tôt, sans préliminaires, pour finir par s'éterniser sur la fin. Formellement non plus, ce n'était pas toujours ça. Les cases étaient quasiment toutes découpées de la même manière, petites et prévisibles, avec peu de place pour les panoramas. Les bulles, elles aussi, n'était pas toujours heureusement remplies ; un coup trop bavardes, un coup pas assez. Milou et les Dupont(d), qui ne font que se prendre les pieds dans le tapis, ne suffisaient pas à tenir la conversation à notre héros, à lui offrir du répondant et du contraste. En bref, cela manquait de quelque chose, autant sur la forme que le fond.

Et puis Tintin est né une troisième fois. En se lançant à la poursuite du Crabe aux Pinces d'Or. En rencontrant le capitaine Haddock, l'une des plus formidable additions que l'on pouvait souhaiter pour cette série. Tout d'un coup, paf, par magie, les défauts de rythme étaient corrigés. Pas une page ne semblait servir encore à remplir l'album coûte que coûte. Les évènements s'enchaînaient enfin comme le récit le suppliait. Les dessins, les décors et les visages venaient de passer dans une autre dimension ; le faciès terrible du capitaine en train d'essayer de débouchonner la tête de Tintin qu'il s'imagine être une bouteille de whisky est une merveille à la fois d'humour et d'effroi. Les petites cases étroites laissent désormais volontiers des demi-pages, quand ce ne sont pas des pages entières, à des dessins formidables qui ne font que plonger davantage le lecteur dans le voyage. Ce qui avait été entamé timidement dans le Lotus Bleu est enfin complètement assumé ; les petites cases et les petites bulles savent enfin se mettre en retrait quand il le faut et laisssent l'aventure respirer à plein poumon. Haddock a apporté avec lui beaucoup de coeur, mais il n'est pas le seul. du dessin à l'histoire, Tintin est enfin sorti complètement de son oeuf pour aller d'un pas sûr sur les chemins de la maturité. Tintin est enfin né. Celui-là même que tout le monde connaît et apprécie.
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