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Critique de Antyryia



Quel est votre plus ancien souvenir ?
Une question perçue comme originale, parfois indiscrète, que j'ai beaucoup posée autour de moi pendant ma lecture. Tout le monde ne s'est pas prêté au jeu mais pour les personnes qui y ont contribué les réponses ont varié : Un très ancien Noël est revenu de façon récurrente, l'école également avec un cadeau réalisé pour la fête des pères ou l'image du premier amoureux de maternelle. J'ai eu droit également à une chute de vélo très douloureuse ... Pour ma part, je me rappelle d'un château de sable fièrement réalisé du haut de mes trois ans et demi.
Parce que l'âge en revanche semble coïncider à chaque fois. Entre trois et quatre ans le plus souvent. Et avant, c'est le trou noir.

La petite enfance de Sayaka a quant à elle été comme effacée. Pas la moindre réminiscence avant l'école primaire. Pas la moindre photo non plus. Rien ne pouvant lui permettre de reconstituer ce fragment d'identité.
"Il me manque quelque chose d'important."
"N'importe qui gaspille de la pellicule au mois les trois premières années consécutives à la naissance de ses enfants."
Et ses parents ne sont désormais plus de ce monde.
Son père vient en effet de succomber à une crise cardiaque. Il avait en sa possession une clef ouvrant la porte d'une maison près du lac de Matsubara, dans la province de Shinshu, au Japon. Une maison dans laquelle il semblait se rendre régulièrement, prétextant de fausses parties de pêche dont il revenait systématiquement bredouille. Sayaka a besoin de réponses, et elle pense les trouver là-bas.
"La maison où j'habitais, les gens de mon entourage, je ne me souviens de rien. Et je veux aller là-bas pour retrouver mes souvenirs."

Pour l'accompagner, un narrateur dont on ne connaîtra jamais le nom. Son ancien petit ami devenu scientifique avec lequel elle était restée six ans avant leur séparation. Aujourd'hui, elle est mariée et mère d'une petite fille de trois ans. Son mari est en déplacement professionnel aux Etats-unis. Sa fille, maltraitée, est placée chez ses beaux-parents.
"On m'a déclaré inapte à l'éduquer..."
"Je ne suis pas digne d'être une mère."

Commence alors pour les deux personnages une exploration de cette fameuse maison, perdue dans les montagnes. Une demeure étrange, qui évoque en premier lieu une maison hantée.
"Des toiles d'araignée pendaient du plafond, les murs étaient noirs de moisissure."
"Je commençais à avoir peur à l'idée de rester dans cette maison jusqu'à une heure avancée."
Une bâtisse abandonnée depuis deux ans environ, où le temps s'est pourtant comme arrêté bien avant. Environ vingt-trois ans plus tôt au vu des dates de publication des livres ou magazines trouvés sur place. Une horloge et une montre sont figées à 11h10. Et ce n'est qu'un des nombreux mystères réservés à nos protagonistes. Il n'y a aucun appareil électrique : ni télévision, ni lave-linge, ni téléphone. La porte d'entrée est condamnée et c'est par la cave qu'ils ont pu accéder à la demeure.
Ce n'est que le début des surprises et incohérences d'une longue série.
Leur résolution va résider dans les indices disséminés un peu partout dans les différentes pièces, et notamment les écrits. le journal tenu par le jeune Yusuke, un enfant brillant ayant grandi dans cette maison maudite, permettra progressivement de faire une première reconstitution de la famille qui a autrefois vécu ici, des tragédies qu'elle a endurées, des personnes qui y ont provisoirement séjourné. Sayaka semble d'ailleurs en faire partie. Mais ses souvenirs peinent cependant encore à émerger.

Commence alors pour nos deux personnages une enquête inhabituelle : Essayer de reconstituer ce qui s'est passé dans cette maison autrefois. de recomposer les évènements auxquels a été confronté la famille qui vivait ici. Et essayer bien sûr de déterminer si oui ou non Sayaka a été présente, quel rôle elle a pu jouer, ce que venait faire son père ici avant sa mort... On est donc bien dans un roman policier mais qui propose une énigme originale. Les deux personnages ne sont pas là pour résoudre un meurtre mais pour déduire un enchaînement d'évènements s'étant autrefois produits dans cette demeure avec les pistes dissimulées dans chacune de ses pièces. Autant de morceaux de puzzle au premier abord difficilement compatibles, livrés un à un, et qui s'emboîteront tous progressivement pour résoudre l'équation proposée par l'auteur. Qu'il s'agisse des carnets de Yusuke, de l'agencement des pièces, des repères temporels, des noms de toutes les personnes qui ont autrefois habité ici : le sanctuaire permettra à chaque mystère de trouver progressivement sa place, mettant parfois les neurones du lecteur à rude épreuve.

Après La fleur de l'illusion, il s'agit de mon second Keigo Higashino, un auteur avec lequel j'étais décidé à renouer rapidement.
Il s'agit ici de son premier roman, écrit en 1994, un livre au concept inédit qui à mes yeux s'apparente toutefois davantage à une longue nouvelle étant donné son unité de lieu et de personnages.
Tout en ayant apprécié la subtilité et l'originalité du récit, je n'ai pas totalement adhéré. Perturbé de nouveau par la culture japonaise ? Pas toujours. D'ailleurs, il est intéressant de signaler que cette maison nichée dans les montagnes est de type occidentale, et c'est également le cas de différentes références musicales ( George Michael, Bon Jovi ) ou publicitaires ( enseigne de maroquinerie Louis Vuitton ). Par contre, le nom des personnages m'a bel et bien perturbé et je n'ai pas réussi à tous les enregistrer à l'exception de Sayaka et Yusuke. A chaque autre identité, je devais réfléchir un instant pour la resituer dans le contexte de l'histoire. Ce qui ne nuit donc aucunement à la compréhension de l'ensemble mais n'a pas constitué une démarche naturelle.
Et si j'aime les romans lents, celui-ci l'est vraiment beaucoup. Les ultimes révélations - pourtant très surprenantes - perdent en intensité et amenées moins en douceur elles m'auraient probablement davantage impliqué. Parce que si les informations sont distillées au compte-goutte et permettent de relancer l'intérêt de l'histoire régulièrement avec la résolution d'un élément du passé ou la naissance d'un nouveau mystère, je n'ai pas ressenti de montée d'angoisse ou de tension. La majorité des nouveaux éléments étant immédiatement analysée, ma lecture est demeurée passive et ce d'autant plus que les héros n'ont pas un charisme extraordinaire. L'aspect vaguement épistolaire avec la lecture des différents écrits retrouvés - et notamment du journal tenu par Yusuke - tient à mon avis une trop large place dans l'avancée de l'étrange enquête, que j'aurais aimé davantage diversifiée.

En résumé, un roman assez sombre, où on est surtout dans la réflexion, tout en baignant dans une atmosphère fantastique. Un livre à l'écriture pudique qui fait d'ailleurs contraste avec la gravité des sujets abordés : la violence envers les enfants mais aussi la haine familiale, le besoin de placer ses espoirs de réussite comme un legs à sa descendance, et bien sûr l'incontournable quête d'identité.
Mon second essai avec cet auteur n'est donc pas totalement transformé mais il s'agit peut-être d'une barrière culturelle qui ne m'a pas permis d'adhérer entièrement aux idées et réflexions véhiculées par un livre auquel j'ai trouvé un charme un peu désuet. Cela dit, la reconstitution progressive du mystérieux passé de cette maisonnée vaut amplement le détour et réserve quelques belles surprises.

Une lecture en somme très agréable ...
Mais qui ne laissera pas de souvenir impérissable.
Contrairement à mon château de sable.
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