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Critique de Kirzy


°°° Rentrée littéraire 2022 # 38 °°°

A partir d'un matériau autobiographique, Tomson Highway, dramaturge et pianiste canadien autochtone cri ( un des peuples algonquiens d'Amérique du Nord, un des plus grands groupes de Premières Nations au Canada ) a composé un roman étonnant qui s'ouvre sur plusieurs scènes exceptionnelles d'évocation pour raconter la naissance de ses deux personnages principaux, les frères Champion et Ooneemeetoo. Dans la cosmologie crie, ce sont les enfants qui choisissent leurs parents.

« Alors que les galaxies d'étoiles de soleils de lunes et de planètes traversaient le ciel en un va-et-vient gigantesque, la Reine blanche sourit énigmatiquement, puis des sept étoiles ed son diadème surgit un foetus humain, complètement formé, translucide, fantomatique. La Reine disparut, abandonnant sa cape et sa couronne. Les minces volutes des nuages hivernaux lui servant de liquide amniotique, l'enfant fantôme vola à la dérive dans l'espace, tournoyant à une vitesse imperceptible mais aussi certaine que le rythme des planètes. Et lentement, combien lentement, le bébé fantôme tomba, culbuta, toujours plus bas, jusqu'à la Terre. »

Ce moment de pure magie a illuminé ma lecture et l'image, de cet embryon descendant sur Terre jusqu'à la maison de ses futurs parents ne m'a pas quitté un instant. Chez Tomson Highway, le réalisme magique souligne la sacralité des instants vécus par les deux frères, toujours sous le regard protecteur de la Reine blanche, une des incarnations du Weesageechak ou « joueur de tours », personnage mythologique rieur dont le rôle est d'enseigner l'essence et la signification de la vie sur Terre en accompagnant les hommes dans les affres de leur destinée.

Si les passages surréalistes soufflés de poésie enchantent le lecteur, ce dernier vibre également au diapason d'une écriture ultra vivante, au ton souvent enjoué, dont l'énergie emporte irrésistiblement alors même qu'elle aborde des thématiques lourdes, de tragédie pure.

On suit les deux frères, le pianiste et le danseur, des années 1950 aux années 80, de leur petite communauté rurale de Manitoba à la grande ville de Winnipeg en passant par le pensionnat catholique dans lequel ils sont forcés d'aller très jeunes. le lieu de tous les dangers : entre prédation sexuelle des certains prêtres, endoctrinement pour les arracher à leur culture cri, et racisme, il faudra qu'ils absorbent le traumatisme durant toute leur vie d'adulte. Les séquelles de l'immersion dans une société qui cherche à éradiquer la culture autochtone est très bien décrite, avec le paradoxe que c'est leur éducation occidentale forcée qui leur a fait découvrir les arts dans lesquels ils vont s'épanouir.

Ce récit de la déculturation, de l'humiliation et de la tension entre tradition et assimilation, se teinte forcément d'une tonalité politique. C'est une des premières fois dans l'histoire de la littérature autochtone canadienne, qu'un auteur recourt à une langue créolisée laissant affleurer les mots, la rythmique du parler cri. Tomson Highway rétablit ainsi La dignité d'une culture amérindienne longtemps réprimée. Même si le texte est souvent très sombre, la force de la voix résiliente de ceux qui ont survécu s'est imprégnée en moi .
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