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Critique de RogerRaynal


Sur la toile de fond d'un monde qui jette ses derniers feux, un quartier pauvre jouxtant le nord du quartier des plaisirs d'Edo, le Yoshiyara, en 1893, Higuchi Ichiyō nous raconte la fin de l'enfance de trois garçons et d'une fille, au cours d'une année fatidique au terme de laquelle ils vont devoir s'engager vers leur condition d'adulte.
Nous sommes dans un milieu misérable, loin des fastes du quartier des plaisirs qui assure pourtant indirectement la subsistance de tout le « petit peuple » dont l'auteur nous fait partager la vie quotidienne, toile de fond bigarrée devant laquelle se jouent les petits drames et les amours touchantes de la fin de l'enfance. Bien que les personnages foisonnent (cela nécessite de lire le livre d'une seule traite, ce qui est facilité par sa longueur, moins d'une centaine de pages), nous allons y rencontrer principalement quatre adolescents : Chôkichi, dit « le grand Chô », bagarreur, querelleur, fanfaron et volontiers m'as-tu-vu, cache sous ses dehors grossiers une grande gentillesse pour ses amis du faubourg, dont il est le « chef ». Une rivalité existe en effet entre les enfants du boulevard (où sont installés les familles les plus « riches ») et ceux du faubourg (où vivent les moins argentés des pauvres), mais nous ne sommes pas ici dans la guerre des boutons, et cette opposition est surtout prétexte à montrer les différents caractères des enfants pauvres d'Edo. Parmi eux, Shôtaro, fils du prêteur sur gage, ne fait pas, lui, mystère de sa gentillesse, alors que Shinnyo, prototype du bon élève et destiné à devenir bonze pour prendre la suite de son père, affecte un grand détachement après avoir subi, puis dépassé, les moqueries de ses camarades. Il est secrètement épris de la jeune Midori, la jeune fille de la bande, soeur d'une geisha de bonne renommée, O Maki, et destinée à prendre le même chemin que sa jolie grande soeur qui officie au Yoshiwara, où, très clairement, elle fait bien entendu commerce de ses charmes. Midori est le personnage principal du roman, attachante et fière, parfois aussi désemparée par le destin qui l'attend et auquel elle aimerait pouvoir, en ralentissant la course des jours, échapper le plus longtemps possible.

le roman de Higuchi Ichiyō est à l'origine une nouvelle, takekurabe (ce qui peut aussi se traduire par « grandir », ou bien « croissance ») parue par épisodes entre 1895 et 1896 dans la revue Mezamashi gusa. Il est écrit dans une langue simple et belle, qui laisse place à de nombreuses expressions typiques qui sont expliquées en fin d'ouvrage dans une douzaine de pages de notes (qui auraient été plus pratiques en bas de page). Certes, le niveau littéraire des expressions utilisées par des adolescents peut nous surprendre (agréablement), mais cet artifice est explicité par une fréquentation assidue des personnes travaillant au Yoshiwara, qui aurait eu pour conséquence d'améliorer leurs capacités d'expression…

L'autrice, Higuchi Ichiyō, d'un milieu très modeste, a vécu pendant plus d'un an, avec sa mère et sa soeur, dans le quartier qu'elle décrit, où elle a géré une petite épicerie. Elle nous livre donc une fiction qui est aussi un témoignage de première main sur cette époque. Elle n'a hélas pas eu le temps de profiter du succès de ses rares oeuvres, car la tuberculose l'a emportée à l'âge de vingt-quatre ans. Sa nouvelle a été adaptée par deux fois au cinéma.
Le livre lui-même (éditions Picquier, imprimé en France, 6 €) est écrit en caractères assez petits et serrés, et contient quelques illustrations de qualité hélas plus que moyenne, ce qui semble dû davantage à l'impression qu'à l'artiste, et dont certaines auraient pu être avantageusement omises. Un plan des lieux d'Edo dont il est fait état dans le texte est aussi fourni, tiré d'une étude japonaise de l'oeuvre, par Aoki Kazuo, mais il est hélas trop petit et trop mal imprimé pour être réellement utile. Par contre, et c'est rare, l'introduction de sept pages d'André Geymond, le traducteur, est à la fois suffisamment brève et intéressante, ce qui est rare. Il y donne des détails sur la vie de l'autrice, la structure de son oeuvre et les procédés littéraires qu'elle emploie.

Pour la traduction elle-même de ce grand classique de la littérature japonaise, André Geymond a été aidé par Pierre Faure, traducteur de « la Sumida » de Kafu Nagai, et quatre spécialistes japonais. le résultat est excellent, rendant parfaitement l'atmosphère particulière de l'époque et du lieu, quitte parfois à gêner le lecteur néophyte par de très nombreux termes japonais qui, fort heureusement, sont explicités dans les notes ou bien se comprennent en raison de leur contexte. 

On ne peut que conseiller la lecture de cette célèbre nouvelle aux allures de petit roman qui décrit une dernière année d'enfance et de relative insouciance dans un quartier qui bruisse, sans y participer pour autant, des fastes du Yoshiwara ; et qui donne la vedette à des enfants face à leur destin, ce qui n'est pas si courant dans la littérature japonaise.
Lien : https://litteraturedusoleill..
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