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Critique de Deleatur


Il y a tout juste un an, je faisais part ici de mon enthousiasme à la découverte d'Hodgson et de sa Maison au bord du monde. J'avais alors conçu quelque vergogne de ne point m'être intéressé plus tôt à La Chose dans les algues, qui dormait depuis longtemps dans ma bibliothèque, au prétexte que j'apprécie peu la forme (trop) courte de la nouvelle. L'accroc est réparé avec bonheur, et je ne regrette pas d'avoir surmonté ma réticence pour ce genre de recueils.

Hodgson écrit les textes qui composent cet ouvrage dans les toutes premières années du XXème siècle. Sans doute faut-il s'efforcer de retrouver sa virginité pour les apprécier pleinement (sa virginité de lecteur, veux-je dire). En d'autres termes : oublier que l'on a déjà lu Lovecraft, Derleth et leurs épigones ; oublier aussi que depuis cinquante ans, on s'est goinfré déraisonnablement d'horreurs visqueuses et autres abominations gluantes, dans des tonnes de films et de séries dont on peine aujourd'hui à dresser la liste. Il faudra faire aussi l'économie d'une préface à gros sabots, qui n'hésite pas à se vautrer dans la tarte à la crème de l'éternelle vocation maritime de la littérature anglaise. de telles préfaces sont capables de gâcher un livre à elles seules. C'est au prix de ces précautions préalables qu'on tirera la saveur de ces récits, tel l'historien qui se plonge dans un temps lointain en prenant garde d'écarter les facilités téléologiques.

Toutes ces nouvelles se déroulent en mer, aux derniers temps de la marine à voile. Plusieurs se répondent, se complètent et s'enrichissent, quitte parfois à se répéter un peu. Quelques personnages se retrouvent de l'une à l'autre, certains hauts en couleurs bien que stéréotypés. On retrouve surtout des thématiques qui donnent une incontestable cohérence au fantastique d'Hodgson. Ce dernier sait faire naître l'épouvante avec peu de choses. Tout son art est d'atmosphère, et il a déjà compris qu'en matière d'angoisse, moins on en montre et plus on impressionne... Ambiances de brumes fantomatiques et de brouillards poisseux, calmes plats et silences oppressants, dans lesquels la moindre sonorité devient inquiétante... C'est là qu'Hodgson excelle vraiment : des tableaux où il ne se passe objectivement pas grand chose, mais dans lesquels le récit est sous-tendu par l'attente et l'anxiété. Appliquant sa recette jusqu'au bout, l'auteur retarde au maximum le surgissement de ses créatures : chez Hodgson, c'est par les bruits que les monstres encore invisibles révèlent leur approche, procédé qui est ici maîtrisé avec un vrai talent.

Évidemment, il faut bien que l'attente débouche sur quelque chose. de ce point de vue, certaines créatures imaginées par Hodgson peuvent se révéler en fin de compte assez conventionnelles, quoique délicieusement effrayantes. Mais d'autres, par exemple dans L'Épave, sont nettement plus impressionnantes, témoignant d'une imagination aussi débridée qu'inquiétante. On comprend mieux, devant ces horreurs organiques surgies des tréfonds marins, pourquoi Lovecraft a reconnu Hodgson comme l'un de ses maîtres, et on peut même parier dans la foulée que des gens tels que John Carpenter ont été en leur jeune temps de fervents lecteurs de l'écrivain anglais.

Pour terminer, il faut relever dans cet ensemble quelques nouvelles qui témoignent d'une inspiration un peu différente, peut-être plus proche d'un réalisme fantastique à la française. Des textes comme Les Chevaux marins ou le Dernier voyage du Shamraken renvoient en effet à la possibilité jamais écartée d'une explication rationnelle du fantastique. Dans ces textes moins spectaculaires mais très touchants, Hodgson semble livrer une sorte de confession : le fantastique, suggère-t-il, n'est peut-être que la projection inconsciente d'un désir altéré par l'imagination. Mais que le fantastique relève ou non d'un processus hallucinatoire n'enlève rien à son pouvoir : il assure en somme qu'il nous reste toujours une porte de sortie lorsque le réel devient objet de souffrance. J'avoue pour ma part que je trouve cette morale assez réconfortante.
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