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Critique de Nastasia-B


À l'issue de ce premier tiers de l'Iliade, le bouillant Achille n'a pas encore véritablement fait son entrée dans l'épopée. le combat titanesque qui doit opposer le champion des Troyen, Hector, au champion des Achéens, Achille, donc, n'est pas encore au programme.

Ce dernier est resté sur la plage avec ses hommes parce qu'il reproche à Agamemnon, sorte de général en chef des Grecs, de l'avoir lésé lors de la dernière remise de butin et refuse donc de reprendre le combat tant qu'il n'aura pas recouvré son dû.

C'est donc un premier indice que nous lègue(nt) le ou plus exactement les rédacteurs de l'Iliade, qu'on baptise toujours sous le même chapeau commode d'Homère, bien que ce texte ait manifestement été établi sur plusieurs siècles et qu'il n'y a peut-être jamais eu plus d'Homère pour l'Iliade et l'Odyssée que de Moïse pour la Bible. le copyright n'existant pas à l'époque, les auteurs successifs qui se relayaient pour les mettre en forme oubliaient souvent de préciser leur pedigree ; le fond et le désir de transmission prévalant sur l'identité du rédacteur.

Ces plusieurs que par commodité l'on nomme Homère, nous indiquent que, comme fondement de cette société dont cet écrit est l'un des piliers, il y a la possibilité de ne pas être d'accord avec l'autorité. En quelque sorte, un droit à se rebeller si la cause est juste et justifiée.

J'en veux pour preuve que même au panthéon de l'Olympe, il arrive très fréquemment aux dieux de ne pas être d'accord entre eux, et, par exemple, Athéna et Héra, s'opposent même très ouvertement à Zeus, qui est pourtant censé être l'autorité suprême. Ceci est la preuve irréfutable d'un système social relativement égalitaire, en tout cas pour l'époque, et dont tant l'histoire actuelle du XXIe siècle, ou celle récente du XXe siècle nous révèle qu'elle n'est pas toujours égalée sur ce point par beaucoup de sociétés de par le monde, largement plus autoritaires. (*voir le P. S. à ce propos).

Dans ce premier tiers de l'Iliade encore, il est question de droit et de destin. Les Achéens, c'est-à-dire, pour faire simple, les Grecs, sont persuadés d'être dans leur bon droit en venant venger le rapt d'Hélène, femme de Ménélas, le propre frère d'Agamemnon. Selon eux, il y a affront des Troyens, lequel affront doit être lavé dans le sang et au prix de la destruction de la cité de Troie.

Si l'on se place du point de vue Troyen, en revanche, il y a certes une action pas très reluisante de la part de Pâris (aussi nommé Alexandre), l'un des multiples frères d'Hector, les fils de Priam, le vieux roi de Troie. Mais il y a surtout une intervention divine : si Pâris a pu séduire Hélène, c'est qu'elle a été envoûtée par l'entremise d'Aphrodite, la déesse de la beauté ; et Pâris n'a donc été que l'instrument d'un destin qui lui est supérieur et sur lequel il n'a que peu de prises.

En somme, Justice et Destin sont deux variables qui s'opposent tant sur les causes du conflit, débuté il y a neuf ans de cela, que sur chacun de ses développements. le juste est constamment mis en faillite par l'entremise du destin (dit plus clairement, l'intervention volontaire d'un dieu quelconque), mais réciproquement, le destin est lui-aussi mis à mal par moments par le rétablissement du juste et du loyal.

De ce fait, l'on assiste, après une revue des forces en présence, à une succession de combats, d'actes héroïques, de harangues, et d'interventions divines qui font pencher la balance tantôt côté Achéen, tantôt côté Troyen (je rappelle que Troie était située sur la côte Nord-Ouest de l'actuelle Turquie, sur le versant asiatique).

En force pure, les Achéens ont des héros qui semblent légèrement plus forts que les Troyens, notamment Diomède et Ajax, présentés comme deux véritables taureaux indomptables, et l'on ne parle même pas encore d'Achille, lui qui n'interviendra qu'à partir du second tiers de l'Iliade.

Chez les Troyens, hormis Hector, ce ne sont pas les gros bras qui se bousculent, et même Hector semble moins robuste qu'Ajax lorsqu'ils s'affrontent tous deux. C'est plutôt leur savoir technique qui semble être leur meilleur atout, notamment l'envoi de flèches à distance, ou le maniement du char à la rapidité incomparable.

Reste l'esprit. Certes Hector n'en semble pas démuni, mais là encore, c'est du côté grec que semblent se trouver les plus beaux spécimens ; il y a bien entendu la sagesse légendaire du vieux Nestor, mais aussi et surtout, la ruse, parfois même un peu fourbe du fameux Ulysse, l'identité même du peuple grec.

En guise de conclusion, à l'issue de ce premier tiers de l'oeuvre, dans une version bilingue très sympa, vous êtes prêts à pénétrer de plain pied dans la symbolique mythique du premier grand peuple européen de l'histoire mondiale dont nous sommes, nous autres, en quelque sorte, les ultimes avatars. C'est donc une plongée vers nos propres origines, toujours intéressante à mener. Mais bien sûr, ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.

(* P. S. : Des chercheurs en primatologie ont montré de façon très convaincante qu'il existe chez de nombreuses espèces de primates une covariation des différentes variables sociales permettant d'expliquer sinon tout, du moins une très grande partie des différences de style social entre espèces proches. Ainsi entre les espèces très tolérantes socialement à une extrémité et les espèces très autoritaires à l'autre extrémité, il n'y a parfois qu'une infime variation d'un des paramètres mais qui entraîne à sa suite tous les autres.

Par exemple, Bernard Thierry a montré que parmi les 21 espèces de macaques répertoriées, l'essentiel des différences comportementales proviennent de l'intensité de l'agression. Pour ceux que cela intéresse, voici un lien vers l'un des multiples articles qu'il a publié à ce sujet :
http://people.nunn-lab.org/charlie/PDFs/55-Thierry-et-al.-2008.pdf

Quand l'intensité de l'agression est forte, on aura alors un système social très sclérosé, avec un héritage fort du rang social d'une génération à la suivante et une quasi impossibilité d'évoluer dans la hiérarchie sociale, des mères très restrictives et ultra-protectrices vis-à-vis de leurs petits. Ce faisant, ces groupes sont relativement apaisés et les contestations très rares. Disons que c'est l'homologue du système nord-coréen de l'espèce humaine.

À l'opposé, lorsque l'intensité de l'agression est plus faible, le risque de blessure étant moindre, les contestations sont beaucoup plus fréquentes et, comme sous produit, on constate beaucoup de coalitions d'individus moyens ou faibles de la hiérarchie contre des plus forts. Il est beaucoup plus possible d'évoluer hiérarchiquement par rapport à ses parents. de même, les mères sont plus permissives et encouragent même leurs petits à nouer des liens, notamment avec d'autres petits issus de femelles de statut social plus élevé.

Ceci donne des groupes extraordinairement bruyants et turbulents où les crêpages de chignons sont monnaie courante et suivis de grandes séances de réconciliation générale à l'autel de l'épouillage... jusqu'à la prochaine rixe. Ce système ressemble beaucoup à notre propre système de république molle et vaguement démocratique dans lequel tout le monde crie et où les règles sont respectées avec des critères à géométrie variable...)
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