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Critique de mesrives


Comment ne pas être interpellé par une telle première de couverture alors que je chinais, je n'ai pas trop réfléchi: une photographie en noir et blanc, un jeune homme tenu à l'épaule par un homme plus âgé portant une croix blanche, un nom inscrit Cameron Francis Doomadgee, deux dates 23/08/68- 19/11/04...
Je ne savais pas où j'allais, je ne connaissais pas l'auteur, Chloé Hooper, par contre le titre Grand homme a de suite aiguisé ma curiosité.

Je me suis donc retrouvée en compagnie d'une jeune journaliste australienne à Laura dans l'extrême Nord du Queensland pour découvrir contre les parois de gré d'une grotte des dessins représentant des hommes de grande taille, des policiers me dit-elle, présents à cet endroit pour être ensorcelés. La représentation de ces policiers, de ces hommes blancs sur lesquels ont appelaient la malédiction au cours de chant s'était multiplié au fur et à mesure de la colonisation... et des exactions subies par les Aborigènes.
« En 1770, à peine débarquée, l'administration européenne qualifiait l'Australie de terra nullus – terre vierge. Officiellement, le peuple aborigène n'existait pas. C'est en 1972 que les premiers habitants du continent australien sont reconnus citoyens. » Paroles aborigènes de Thomas Johnson.

Nous allions rentrer dans le vif du sujet.
Chloé Hopper après avoir écrit de nombreux articles sur le sujet, venait de terminer son second bouquin: Grand homme, mort et vie à Palm Island (2009), fruit d'un travail de trois ans, une contre enquête sur l'affaire Chris Hurley-Cameron Doomadgee.

Palm Island: le 19 novembre 2004, Cameron Doomadgee, un jeune homme de trente six ans succombait à de graves blessures dans la cellule du commissariat (ecchymoses, côtes cassées, foie éclaté) 40 minutes après son incarcération par le chef brigadier Chris Hurley pour outrage à agent sur la voie publique. Une semaine plus tard la mort de Cameron était présentée aux habitants par les autorités locales comme un accident (chute). C'est alors l'indignation et la consternation dans la communauté aborigène :une émeute est déclenchée, menée par Lex Wotton et une répression immédiate s'ensuit.
« C'était une explosion de dégoût viscéral. C'était la revanche : le choc symbolique de deux lois. »

Palm Island? Elle doit son nom au capitaine James Cook. Une île au nom paradisiaque un cadre idyllique pour des vacances de luxe, située dans la Grande Barrière de Corail, à 40km au nord-est de Townsville.

Et bien non Palm Island, est une île où vivent environ 3 000 Aborigènes aujourd'hui, ayant obtenu le statut de communauté en 1984. « Selon les premiers habitants, les Manburra, l'île et celles qui l'avoisinent – Orpheus, Fantôme et Eclipse – se formèrent au Temps du Rêve, époque de la création du monde, quand un esprit ancestral appelé Grand Serpent, ou Serpent Arc-en-ciel, se brisa et y laissa derrière lui des fragments de son corps. »
Elle fut entre 1918 et 1978 un pénitencier à ciel ouvert, une réserve, un goulag tropical administré par un super intendant où ont été déportés des Aborigènes de 40 tribus différentes, tous des récalcitrants au pouvoir qui travaillaient pour rien (« salaires volés »). Elle est devenue progressivement une île oubliée, maudite où les taux d'alcoolisme, de diabétique, de délinquance, de violence, de suicide et d'incarcération de mineurs sont beaucoup plus élevés que partout ailleurs.
L'enfer dans un décor paradisiaque.

C'est dans ce cadre et ce contexte, que Chloé Hopper se déplace à Palm Island pour se pencher sur le décès de Cameron Doomadgee au côté de l'avocat Andrew Boe, volontaire pour défendre bénévolement la communauté Aborigène lors de l'enquête du coroner d'État, l'amenant à explorer l'histoire coloniale de son pays, la lente et progressive extermination des Aborigènes avec sa politique de ségrégation raciale et, à partir des années 1910 le début des enlèvements d'enfants, « les générations volées ».

Chloé Hooper nous présente tous les éléments pour comprendre cette histoire tragique, l'enquête préliminaire avec les témoignages et les reconstitutions, l'instruction et le procès... un long chemin dont la conclusion ne sera pas encore du côté des Aborigènes mais qui sera par contre la première affaire traitée devant la justice pour juger un homme blanc accusé d'avoir tué un Aborigène.
C'est la première fois dans l'histoire de l'Australie qu'un officier de police est tenue pour responsable d'un décès en garde vue... le Syndicat de la police du Queensland se serre les coudes, organisera une contre-attaque …
Une avancée tout de même puisque Chris Hurley a été mis en examen mais acquitté en 2007.

Un procès très éprouvant pour les deux parties.
Le portrait de deux hommes celui de Chris Harley et celui de Cameron Doomadgee.
Le fossé entre deux cultures, celle des dominants et des dominés.
Une civilisation écrite, une civilisation orale.
Une histoire d'injustice, de désespoir, de souffrance, de folie.
Une histoire de la violence, avec les ravages de la colonisation, les décennies d'humiliation, plus qu'un choc des cultures, un anéantissement.

Révoltant de lire qu'en Australie la vie d'un Aborigène en ce début de 21ème siècle a la même valeur que celle d'un kangourou que l'on écrase de la même manière sans se poser plus de questions !
Etonnant de se rendre compte que l'enseignement dans les années90 occultait la cause aborigène et qu'il a fallu attendre 2008 pour que Kevin Rudd, premier ministre à l'époque, présente ses excuses officielles aux Aborigènes « pour que les injustices passées ne se reproduisent jamais. »
Depuis 2009, le gouvernement publie un rapport annuel intitulé «Closing the gap» («Combler l'écart»), qui vise à mesurer et à réduire les inégalités socio-économiques.

En 2011, une compagnie de théâtre de Melbourne, la compagnie Ilbijeri, est revenu sur ces événements tragiques de Palm Island, dans une pièce « Beautiful One Day », et a recruté des insulaires pour jouer sur scène, l'occasion de leur tendre la main pour libérer leur parole.

« La bouche ne sert pas à parler, elle sert à chanter. Pour parler, on a le coeur. »

Chloé Hooper a reçu un Walkley Award pour ses articles relatifs à l'enquête sur la mort de Cameron Doomadgee parus dans le Monthly, mensuel australien, et dans la presse internationale.

Un livre très émouvant du en partie à la jeunesse de la journaliste et à l'effroi qu'elle ressent devant tant de violence et d'incompréhension.
Un documentaire captivant où les tensions, la chaleur sont palpables tout au long des pages.

Une lecture éprouvante comme les descriptions des journées interminables dans un tribunal devant la douleur, la tristesse, l'hébétude de la famille de Cameron Doomadgee et la prostration de Chris Hurley.

Mais Chloé Hooper nous réserve des intrusions dans la culture aborigène, des espaces qui s'ouvrent, des bouffées d'oxygène pour reprendre son souffle quand elle nous parle de la cosmogonie, de la mythologie, des chants et des pistes... c'est alors le moment d' imaginer les beaux ciels nocturnes australiens et la Voie Lactée, où les ancêtres des Aborigènes demeurent, pour relâcher la tension.

Passionnant. A découvrir.

A savoir que le film documentaire, The Tall man de l'australien Tony Kravitz, sortie en 2011, se base sur le livre de Chloéa Hooper et revient sur les traumatismes et la colère causée par la mort de Cameron Doomadgee dans la communauté Aborigène.
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