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Critique de Gustave


"La possibilité d'une île".


Ce titre, aussi magnifique qu'évocateur, n'a pas été sans me faire penser, toutes proportions gardées, à la manière dont Fitzgerald à choisi le titre de son chef-d'oeuvre absolu, Tendre est la nuit, également issu d'un poème, cette fois-ci celui du poète anglais Keats.


C'est avec un certain regret de quitter ce roman que je l'ai refermé il y a quelques semaines. Dans l'ensemble, Houellebecq se montre toujours aussi captivant et talentueux. Il m'est néanmoins arrivé de relever des passages, certes rares, qui ont pu me donner une impression quelque peu désagréable de banalité, notamment lorsqu'il fait asséner à son narrateur de fausses évidences. Cela explique que je m'en suis tenu à quatre étoiles et non pas cinq.


J'en citerai une seule: selon le narrateur, Daniel, les jeunes ne tomberaient plus amoureux, ou refusent le sentiment amoureux (je ne compte surtout pas me lancer dans l'autofiction, que je méprise, mais force est d'admettre que, bien qu'ayant 23 ans, je n'ai reconnu ni moi-même, ni un assez grand nombre de mes amis dans cette mentalité-là).


Cette unique réserve étant faite, le roman se révèle être d'une originalité assez peu commune, et d'une lecture fluide et agréable. Houellebecq réussit le tour de force de nous rendre sympathique une secte, inspirée de manière transparente des raëliens, dont l'objectif serait à terme de pouvoir donner à l'homme tout à la fois l'immortalité via le clonage et la délivrance des souffrances que causent les émotions, notamment liées au désir sexuel.


(ATTENTION: je ne cautionne en rien cette secte telle qu'elle existe dans la réalité, j'affirme juste que dans le monde FICTIONNEL construit par Houellebecq, elle est rendue avenante)


L'alternance du roman entre les mémoires de Daniel 1 (l'original) et les commentaires qu'en font ses différents clones nous montrent à terme que si l'immortalité et l'annihilation des désirs humains ont bien été atteints, les hommes n'en sont finalement pas plus heureux: cette nouvelle humanité ne vit plus que dans une torpeur sans fin...A tel point que Marie, une de ces transhumaines, finit par se lancer dans un voyage qui lui permettrait de rencontrer les anciens hommes (qui sont revenus à l'état préhistorique) supposés vivre dans un bonheur qu'elle ne possède pas...Comme si finalement la possibilité du bonheur était précisément indissociable à la capacité d'éprouver du désir, au risque d'en souffrir.


Une fois encore, dans cette incapacité radicale de l'humanité à atteindre le bonheur se trouve le pessimisme radical de Houellebecq...Ce pessimisme est bien ancré, si l'on observe de plus près la structure sous-jacente au roman:

1/Une secte dépeinte de manière positive.
Cela en dit long sur la faillite de la modernité, qui prétendait délivrer l'homme des questionnements liés au sens de son existence, ses origines, etc. par l'extension continue de la connaissance scientifique du monde d'une part, et par l'amélioration tout aussi grande de ses conditions matérielles d'existence (ce qui est un progrès énorme, cela va de soi).
Or le vide béant crée par la fin des religions traditionnelles n'a pu être rempli par le rationalisme moderne et les diverses constructions idéologiques apparentées (communisme notamment). La démocratie libérale elle-même semble s'être anémiée. Les sectes, dont celui au coeur du roman, semblent proliférer sur ce terrain-là.


2/Une secte qui finalement systématise l'usage de la science moderne
Le salut que propose la secte a évacué une grande partie des éléments surnaturels sur lesquels reposent les religions classiques. La seule lubie des Elohimites à cet égard est, à vrai dire, la profession de foi en la venue d'extraterrestres à accueillir dans une ambassade.


L'église Elohimite propose en effet un salut entièrement dépendant de l'avancée des recherches scientifiques de la secte, en matière de clonage et de modifications de l'organisme humain. En ce sens, cette secte est pleinement ancrée dans la modernité contemporaine d'où toute référence à une transcendance d'ordre surhumain, divin est largement disqualifié. A cet égard, les derniers chapitres du roman dépeignent bien l'effondrement des religions anciennes face à l'expansion de l'Elohimisme.


3/L'invalidation radicale de tout forme de salut.
Les objectifs scientifico-religieux de l'Eglise Elohimite atteints, plusieurs siècles après, la condition humaine nouvelle demeure guère reluisante. le salut n'est pas venu de cette spiritualité nouvelle, fondée sur la science, pas plus qu'elle n'est venue des sociétés anciennes que de la modernité actuelle.


Ce roman semble être presque une dystopie, si l'on considère finalement que Houellebecq prophétise d'une certaine manière le caractère insoluble du problème du bonheur, qui demeurera indépendamment des évolutions d'ordre techniques et sociales que peut connaître l'humanité.


P.S. D'après un article du Figaro, Houellebecq travaille sur un nouveau roman. J'ose affirmer que c'est le seul article d'actualité que j'ai eu plaisir à lire ces derniers temps...
http://www.lefigaro.fr/livres/2014/04/24/03005-20140424ARTFIG00009-michel-houellebecq-je-ne-compte-pas-mourir-prochainement.php
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