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Critique de Woland


Etoiles Notabénistes : ******

ISBN : 9782221101919

De tous les recueils qui constituent l'intégrale de "La Nuit Indochinoise", "Les Portes de l'Aventure" est le seul à se présenter sous la forme de nouvelles, trois pour être précise, intitulées respectivement : "L'Homme du Kilomètre 53", "Retour" et "Poulo-Condor." Si l'on reste sur sa première impression, on estimera l'action de la première plus faible par rapport à celle des deux autres mais, quand on prend la peine d'approfondir son jugement ...

Eh ! bien, si on le fait, on se rend compte que cette nouvelle, qui nous dépeint la morne routine de Legras, contremaître d'un chantier, bloqué depuis plusieurs mois au kilomètre 53 d'une route avec tout un régiment de coolies et sous les ordres, aussi hautains que lointains, d'un ingénieur en chef installé, lui, dans un bureau bien climatisé, au chef-lieu du coin, cherche à nous restituer l'atmosphère étouffante, poussiéreuse, désespérée et proche de l'annihilation absolue, dans laquelle se retrouvaient emprisonnés certains fonctionnaires coloniaux, expédiés en pleine forêt tropicale, zone Viêt-minh ou pas, et vaguant (ou divaguant ?) de chantier en chantier tout au long, en fait, d'une carrière qui leur promettait certes une retraite en métropole mais qui se confondait surtout avec une implacable voie de garage. Les routes d'Indochine ne se sont pas faites qu'avec le travail des coolies. Il fallait superviser, mettre aussi la main à la pâte, affronter des imprévus aussi dangereux que la crue des fleuves, la désertion de certains, l'alcoolisme des autres, l'apathie de certains supérieurs hiérarchiques, les inévitables incursions Viêt-minh ...

Tout cela, Hougron le symbolise et le dignifie par une charge d'éléphants furieux qui, en pleine nuit, prend pour cible le malheureux Legras, qui s'en revient, rageur et en sueur, une bouteille de Pernod sur son porte-bagages, du chef-lieu où son chef l'avait convoqué ... pour lui annoncer simplement que, à partir de telle date, il serait nommé au kilomètre 22 ! Toute une journée de travail perdue pour une nouvelle qui eût pu se signifier tout simplement par lettre ! Et notre pauvre héros, à l'embonpoint un peu encombrant, qui n'écoute que son devoir et obéit immédiatement à la convocation d'un supérieur qui, lui, l'a complètement oubliée et n'a donc pas reçu le petit mais dévoué contremaître du kilomètre 53 ! Et celui-ci d'effectuer l'aller-retour en une journée et une nuit sur une bicyclette brinquebalante que la rage éléphantesque piétine d'ailleurs en partie ... Non, pour certains colons, les gagne-petits, les simples, les honnêtes aussi, la vie n'était pas aussi dorée que ça en Indochine ...

La seconde nouvelle, "Retour", plus longue, se situe en France. Rédigée à la première personne, elle nous dépeint le retour, dans son village natal, qu'il a quitté sept ans plus tôt, d'Henry Lafitte. Même s'il ne le clame pas sur les toits, cet enfant d'alcooliques à qui les dames-patronesses d'avant-guerre faisaient la charité, a fait fortune à Saigon. Mais, s'il a, comme Legras, débuté comme gagne-petit, il a très tôt compris la chanson et a choisi une autre partition, celle qu'on n'avoue pas mais qui vous garantit un avenir tranquille et des plus aisés. Si Henry est revenu, c'est surtout pour retrouver son amour de jeunesse, Françoise Lacaze, la fille du notaire du cru, que le petit jeune homme pauvre qu'il était dans le temps ne pouvait évidemment pas avoir l'intention d'épouser. Maintenant, bien sûr, tout a changé. Tout. Et Henry va s'en apercevoir très rapidement ... Particulièrement cynique et amer, "Retour" vaut par la remarquable étude psychologique que l'auteur nous donne ici tant du narrateur que de ceux qui le voient revenir. C'est brillant mais ça fait mal : l'une des meilleures nouvelles que j'ai jamais lues.

Avec "Poulo-Condor", le niveau monte encore d'un cran mais nous restons dans le registre de l'aventure. Deux hommes, le vieux M. Quang, de Ben-Cong, et Frémont, le métis aventurier, de Saigon, accusé de trafics (qu'il assume) et d'un crime (qu'il n'assume en rien) par ledit Quang, donnent, chacun à son tour, au narrateur intrigué, leur version d'une étrange histoire : celle du trésor de la Grande Pagode de Ben-Cong, dont on ne sait plus qu'une chose, c'est que, entre les Français et le Viêt-minh, dans les bouleversements divers subis par Saigon et ses environs à la fin des années quarante, il a disparu. Mais où ? C'est la grande affaire. Quang accuse Frémont de s'en être emparé après avoir tué le Grand Prêtre de la secte qui en avait la garde. Frémont, lui, tient, l'on s'en doute, un tout autre discours et c'est le narrateur qui, à la toute fin, donnera au lecteur perplexe la clef de l'énigme qui renvoie à la mentalité et à l'habileté asiatiques. En dépit de la mort des coolies qui cachèrent le trésor (au bénéfice de qui, vous verrez bien), ce récit malin, plein d'astuce et de malice rend, de façon là aussi très cynique, un hommage incontestable à la subtilité indochinoise.

En somme, ces trois "Portes de l'Aventure" sont plutôt agréables à franchir et ne déparent en rien l'ensemble de "La Nuit Indochinoise" dont il ne nous reste plus que deux volumes à lire : "Les Asiates" et "La Terre du Barbare." Tel est en tous les cas notre avis et nous espérons très sincèrement que vous le partagerez. ;o)
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